Fortunes et récits de la mer

Solidarité des gens de mer

Abri du marin - Douarnenez - Pto JM Quiesse
Abri du marin - Douarnenez - Pto JM Quiesse

 

C’est une chanson de Louis Jacques Suignard, chanteur breton, qui m’amène à parler aujourd’hui de la solidarité des gens de mer. Cette entraide n’est pas un vain mot. Elle s’illustre par de multiples récits comme celui de la célèbre Rose Héré qui sauva les marins du Vesper à Ouessant le 2 novembre 1903 et la saga de la SNSM, descendante directe d’une organisation née en 1865, qui effectue bénévolement près de 8000 interventions chaque année.  Du fait des dangers particuliers auxquels elle expose les personnes et les biens, la navigation est régie par un règlement spécifique – le droit maritime – fondé sur le principe de la solidarité et son obligation d’assistance.

  

Un contexte confronté aux migrations par la mer

Depuis 1979, chaque État côtier doit mettre en œuvre les opérations de secours aux personnes en détresse dans sa ou ses zones Search and Rescue, les SAR (Cross français[1]). Mais certains pays refusent de les accueillir au détriment d’une tradition maritime[2]. En 2023 des capitaines de navires sont poursuivis en justice pour avoir sauvé et débarqué des femmes et des hommes[3]. L’obligation d’assistance devrait gagner la terre. Il s’agit d’un sujet très débattu au centre d’un ensemble de lois très floues.

 

L’entraide communautaire des marins

Si la Royale de guerre avait posé les jalons d’un règlement officiel, les marins pêcheurs n’ont pas attendu l’aide de l’état pour s’organiser en communautés. Ainsi un malade continuait à [4]percevoir la même somme que ses collègues pendant tout le temps où le navire était armé. Une attention particulière était portée aux veuves qui laissaient les engins de pêche sur le bateau en touchant une demi-part. Pendant des siècles le sort des veuves de marin et des orphelins est resté absent des lois sociales.

 

On a déjà évoqué dans une autre rubrique l’importance du bar pour les équipages à terre. Un par immeuble dans certains ports. Lieu convivial, il servait également de banque. Chacun y déposait sa paye soigneusement gardée par la patronne ou le patron pour être l'objet d’une avance pour d’abondantes consommations.  En 1908 Jacques de Thézac, photographe et ethnographe, prenant connaissance de la vie des marins et notamment de leurs problèmes d'alcoolisme, créa alors les Abris du Marin. Aujourd’hui, pour accueillir et aider les équipages en escale existent des Seamen’s clubs un peu partout dans le monde, gérés par diverses associations basées sur le bénévolat. Par ailleurs, des Foyers du marin sont inclus dans une fédération nationale.

 

Équipages abandonnés, marins perdus[5]

Et cette attention aux équipages en escale s’est étendu dans les années 2000 à un nouveau phénomène, celui de l’abandon dans les ports[6] suite à l’immobilisation du cargo dû à son incapacité à reprendre la mer ou à une faillite de l’armateur. L'absence de règles internationales claires empêchait de trouver une issue rapide à ces situations qui se sont multipliées. Or l’abandon de navires ventouses les rend  dangereux, coutent cher au port et laissent des équipages sur les quais.

 

Les accords internationaux de 1982 ont été renforcés en 2012. Le MOU (Memorandum Of Understanding[7]) a été signé par 27 nations. Mais il s’agit d’une charte et non d’une règlementation, et tous les états ne l’on pas ratifiée. La fragmentation des responsabilités dans le secteur maritime rend toute législation difficile à appliquer. Il n'est en effet pas rare que le propriétaire du bateau vive dans un pays, enregistre le navire dans un autre, et qu’il batte pavillon dans un troisième. Toutefois, en France le nombre de navires dits « poubelles » a considérablement baissé suite à la multiplication des inspections et la pression de la très active Fédération internationale des ouvriers du transport ITF.

 

Ainsi, en 2002 l'équipage syrien du Khalifeh One, immobilisé au Tréport[8], est resté 5 mois sans ressources. Ce cargo avait navigué sous les couleurs du Honduras, de Sao Tomé et Principe, pour finir sous le drapeau des iles Tonga. Une inspection a relevé plus de 57 déficiences matérielles. Cette même année le marseillais Jean-Claude Izo écrit un roman passionnant sur ce sujet « les marins perdus ».

 

Autre exemple qui va parler aux lectrices et aux lecteurs tant il est dramatique. En 2013, le Rhosus fait escale à Beyrouth en raison de problèmes techniques. Dans ses cales se trouvent 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium. Après s'être vu interdire de reprendre la mer suite à une inspection, il est abandonné et son équipage restera plusieurs mois à bord avant que la dangereuse cargaison de ne soit finalement déchargée et stockée dans les entrepôts. On connaît la suite : une explosion gigantesque le 4 août 2020 détruira entièrement le port de la capitale libanaise, faisant 137 morts et 5.000 blessés.

 

En 2021, après un an passé sur son navire, le commandant turc Vehbi Kara a pu rentrer chez lui. C’est aussi l’année du record de durée d’attente pour un marin : quatre ans pour Mohammed Aisha, Syrien coincé à bord du MV Aman depuis 2018.

 

La saga tragique est loin d’être terminée ainsi, en 2023 ce sont 132 navires qui ont été anadonnés avec leurs 1676 marins (source Nautilus). Un exemple : en avril 2023 les philippins du Yangtze Harmony ont enfin pu quitter le bord après quatre mois. Et avec leurs arriérés de salaire !  La très active Fédération internationale des ouvriers du transport ITF à laquelle appartiennent la plupart des syndicats français,  les a pris en charge comme des centaines d’autres chaque année.

 

Nous pourrions poursuivre notre inventaire, mais, pour finir, je reviens en 1998 pour une histoire qui nous a laissé une très belle chanson : en 1998 le cargo russe Baltiski s’est trouvé abandonné sur les quais de Tréguier dans les Côtes-d’Armor :  il y avait autant d’eau dedans que dehors dans cette semi-épave navigante . « Quand la marée descend dit un marin, on a l’impression de vivre dans un arrosoir ». Lors d’un Fest Noz organisé en soutien à l’équipage Louis Jacques Suignard va composer cette chanson mi-russe, mi-bretonne. A votre santé ! Yerc’hed mat à votre santé Vadrovia !

 

 

Jean Marie Quiesse janvier 2024

 

 

 

 

Jules César aux mains des pirates

Les origines du mot « piraterie » remontent au mot grec ancien peirao qui signifie tenter sa chance et l’aventure. Il est étendu aussi à peiráomai, qui veut dire « tentative de vol »). Le port du Pirée est directement issus de Peirao. Peu à peu, il est devenu un terme grec à consonance similaire signifiant « brigand », puis en latin, pirata.

 

La rumeur d’aujourd’hui est un de ces moments où l’avenir du monde aurait pu basculer. Tout se passe près d’une île du Dodécanèse, petite par la taille, mais grande par l’histoire parce qu’elle croise en 78 avant notre ère, le destin d’un jeune homme de 22 ans prénommé Jules. Si on en croit la lointaine Odyssée, ces pirates ont toujours infesté la Méditerranée. De nombreuses criques leur servaient de cachette. Lents et peu maniables, les navires marchands ne pouvaient fuir devant des pirates rapides et agiles. C’est la prise d’Alger par la France en 1830, donc tout près de nous, qui a marqué la fin de cet incessant trafic. Et pourtant ils étaient toujours craints vers 1900, à l’époque du téméraire Joshua Slocum.

 

Tragia l’hospitalière

L’île de Tragia doit sans doute son nom antique à sa forme pareille à deux poumons. De nos jours, elle se tient hors des circuits touristiques, baignée d’une eau cristalline où les poissons viennent vous regarder de près, avec un arrière-pays empli d’oiseaux et de chèvres. Imaginez un port minuscule avec quelques maisons blanches et bleues, deux belles plages fréquentées par quelques familles grecques, et, plus loin, de jolies criques ombragées et désertes qui firent le bonheur des anciens pirates. On grimpe à pied vers deux petits villages L’étranger semble bienvenu dans ce monde circulaire où chacun vous salue d’un sonore Kalimera. Les habitants sont connus pour leur hospitalité légendaire soumise ces dernières années à l’épreuve de plusieurs vagues d’arrivée de naufragés fuyant leur pays. 

 

Jules, capturé par les pirates

Si l’on en croit certaines rumeurs, cet antique repaire de pirates aurait accueilli, bien malgré lui, un hôte forcé et illustre, le jeune Jules César. Il existe plusieurs versions de l’évènement, mais nous retenons ici celles de Plutarque. En ces temps-là, les guerres civiles dévastaient Rome et laissaient la mer sans surveillance. Il raconte qu’en 78 avant notre ère, Jules César en route pour Rhodes fut capturé près de Pharmakos, Îlot très proche de Tragia,

 

Il aurait pu subir le sort de bien d’autres : « quand un de leurs prisonniers s’écriait qu’il était romain, ils simulaient la stupeur et la crainte…puis ils le chaussaient à la romaine et lui mettaient une toge…après s’être ainsi moqués de lui, finalement ils jetaient une échelle qui donnait sur la pleine mer et lui enjoignaient de descendre et de partir, accompagné de leurs bons vœux ; s’il refusait, ils le poussaient dans l’eau et le noyaient. »[1]

 

Ce ne fut pas le cas de notre noble héros. Écoutons encore Plutarque :

 

« César résolut de se retirer à Rhodes, tant pour se dérober aux ennemis qu’il s’était faits, que pour y consacrer ses loisirs aux leçons d’Apollonius Molon, le plus célèbre rhéteur de ce temps-là. (2) Dans ce trajet, exécuté pendant l’hiver, il fut pris par les pirates, à la hauteur de l’île Pharmacuse; et, non sans la plus vive indignation, il resta leur prisonnier l’espace d’environ quarante jours, n’ayant près de lui qu’un médecin et deux esclaves du service de sa chambre; car il avait dépêché sur-le-champ ses compagnons et ses autres esclaves, pour lui rapporter l’argent nécessaire à sa rançon. »

 

Le récit de Plutarque est un peu lapidaire, mais Suétone ajoute quelques détails :

 

Au premier moment, comme les pirates lui réclamaient une rançon de vingt talents, il se moqua d’eux parce qu’ils ne savaient pas l’importance de leur prise et il convint lui-même de leur donner cinquante talents ; puis, après avoir envoyé ceux de son entourage chacun dans une ville pour emprunter de l’argent, resté chez ces Ciliciens fort sanguinaires avec un seul ami et deux serviteurs, il se comporta avec tant de hauteur que, chaque fois qu’il voulait se reposer, il imposait aux pirates le silence. Et pendant quarante jours, comme s’il n’eût pas été leur prisonnier, mais les eût pour gardes du corps, il participa à leurs jeux et exercices, en montrant la plus grande sécurité. Quant aux poèmes et discours qu’il écrivait, il les leur lisait et, lorsqu’ils n’admiraient pas ses écrits, il les appelait en face illettrés, barbares, et il les menaçait souvent en riant de les faire tous pendre. Eux riaient aussi, prenant cette liberté de langage pour de la naïveté et de la puérilité.

 

Le banquet tragique

Épicrate, muni d’instructions de César, apporta avec la somme convenue, de quoi faire un grand festin, une aiguière pleine d’épées et du vin mêlé de mandragore. Après avoir compté aux pirates double rançon, César leur offrit le festin et eux, au comble de la joie à cause de la grandeur de la somme, s’élancèrent volontiers vers cette frairie, mais, ayant bu le vin drogué, ils s’assoupirent et César, les ayant fait tuer pendant leur sommeil, rendit aussitôt leur argent aux Milésiens. »

 

César gardera de cette attaque la volonté tenace de purger la mer Égée de cette engeance. En 67, le sénat nommera Pompée pour liquider la piraterie. Avec 500 navires et 15000 hommes, il capturera 400 bateaux. Cette opération fit, dit-on, 30000 victimes.

 

Jean-Marie Quiesse

 

Octobre 2023


[1] Plutarque – Vie. Pompée, 24

Nansen et Plume sauvent une baleine prisonnière d'un filet

Naïline à la caméra dans l’annexe et sous l’eau, Lilwen à la caméra sur Nansen, skipper Plume au montage.
Naïline à la caméra dans l’annexe et sous l’eau, Lilwen à la caméra sur Nansen, skipper Plume au montage.

Voilier Nansen - 54 milles (100 km) au large du Brésil ;

 

Le jeudi 20 juillet 2023, nous sommes en mer, en train de déjeuner tranquillement dehors dans le cockpit. Le vent souffle à force 6 (20 nœuds, soit 37 km/h), la mer est forte (vagues de 3 m). Tout à coup, nous voyons passer deux gros blocs de polystyrène tirés par une baleine ! Un coup d’œil dans un livre d’identification des mammifères (ah, ah, on ne se refait pas !!), il s’agit sans doute d’une jeune baleine à bosse (Megaptera novaeangliae). Elle doit être prise dans un filet. Il faut faire quelque chose !

 

Branlebas de combat.

 

Heureusement, nous naviguons avec le bateau Plume, être deux bateaux dans ces circonstances est une chance. D’autant plus qu’ils ont une annexe bien plus apte que la nôtre à naviguer dans cette mer. Plume doit être à environ 5 milles nautiques de nous. Ce sont les amis rencontrés aux Canaries et retrouvés à Jacaré. Ils ont aussi trois filles presque du même âge que les nôtres. Nous sommes en mer au large de la côte nord-est du Brésil pour trois jours de traversée depuis Galinhos afin de nous rendre au parc de Lençóis Maranhenses (vous aurez l’article bientôt, c’est que internet ne cours pas les rues, euh pardon, les océans, mers et rivières…). Nous appelons Plume par VHF. Ce concours de circonstances exceptionnelles est raconté dans la vidéo ci-dessous.

 

Victimes de la pêche au large

 

Si la situation que nous avons vécue est exceptionnelle, le fait qu’une espèce non cible soit prise dans un matériel de pêche est malheureusement un phénomène répandu… Les prises accessoires (bycatch en anglais) constituent un problème mondial au niveau des pêcheries. Elles sont considérées comme la menace directe la plus grave pour les cétacés. À l’échelle mondiale, on estime qu’au moins 300 000 cétacés sont capturés et tués accidentellement chaque année.

 

De nombreuses espèces sont affectées, notamment les tortues, les oiseaux de mer, les requins et autres poissons non ciblés, ainsi que les mammifères marins.

Les filets maillants et les filets emmêlants sont à l’origine du plus grand nombre de prises accessoires de cétacés. Mais les baleines sont particulièrement susceptibles de s’emmêler dans les filets et les cordes associés aux casiers, aux pièges et aux dispositifs de concentration de poisson. Bref, c’est un terrible phénomène massif associé à la pêche au large…

 

Récit Récit de l'équipage de Nansen

septembre 2023

 https://sergezlesamarres.wordpress.com/

 

 

juin 2023 - Nawaks sauve des naufragés abandonnés sur une île déserte

Nawaks au mouillage
Nawaks au mouillage

 Il arrive que certaines ou certains désirent volontairement se ressourcer dans la solitude d’une île déserte. Ainsi le japonais Masafumi Nagasaki y a vécu trente ans. L’Australien David Glasheen[1] ou, plus récemment, le poète Montpelliérain Christian Malaplate ont fait cette expérience. Déjà, en 1962, le journaliste Georges De Caunes s’est exilé dans les Marquises avant d’en être chassé par les terribles nonos.

 

La vieille coutume du maronnage

 

Très utilisée au 17èm et 18èm siècle, la « Chasse partie » des pirates autorisait de larguer des hommes sur une île à titre de punition. La coutume du maronnage voulait que la personne soit abandonnée, la plupart du temps sans eau ni nourriture, avec un pistolet, de la poudre et des balles. Au 18e siècle, Alexander Selkirk, corsaire écossais est resté cinq ans seul sur une terre inhabitée. Il servira de modèle pour le célèbre Robinson Crusoé. Dans Pirates des Caraïbes, le Jack Sparrow est par deux fois maronné sur un îlot désert.

 

Une légende raconte que Barbe Noire abandonna quinze marins qui s’étaient mutinés, avec une ligne à pêche et surtout une caisse de rhum. Quelques survivants ont été sauvés par un navire de passage qui les a trouvés en train de se saouler, bouteille en main, assis sur la poitrine de leurs compagnons morts. De cette affaire est née la fameuse chanson « Quinze marins sur le bahut des morts ». En effet l’anglais « chest » signifie aussi bien « poitrine » que coffre.

Et bien j’ai été surpris de constater que cette coutume semblerait encore en vigueur dans certaines parties de la terre.

 

 Les naufragés du détroit de Torrès

 

Le Nawak est un catamaran Outremer 45 originaire de Saint Malo.   Il navigue autour du monde et se trouve aujourd’hui, en juillet 2023, du côté de l’Indonésie. C’est dans le détroit de Torrès que lui est arrivée cette incroyable aventure. Ecoutons le capitaine :

 

 « Un arrêt était prévu sur Coconuts Island plus au sud. Une fois l’école des enfants terminée nous levons l’ancre, hissons les voiles et attaquons la préparation du déjeuner. À ce moment-là, Loïc le skipper assis à la table à carte aperçoit des reflets venant d’un petit îlot à deux milles devant nous. Quelques minutes plus tard, le curieux scintillement est toujours là. Ce n’est plus un, mais deux éclats qu’on perçoit maintenant.  Puis, on distingue à la jumelle deux personnes qui lancent cet appel à l’ancienne l: 3 courts, 3 longs, 3 courts!

Quittant le chenal nous faisons route vers le rivage et utilisons un miroir pour signifier aux inconnus qu’ils ont été repérés. L’affaire est communiquée aux autorités du détroit (le Reef VTS : Vessel Traffic Service). Voiles affalées le navire continue sur son erre jusqu’à la barrière de corail. Nous décidons d’envoyer le drone qui recense une troisième personne. Les naufragés signalent par signe qu’ils vont nous rejoindre à la rame sur un petit canot.

 

À couple, nous leur donnons à boire et à manger, du paracétamol et des casquettes. Après une bonne heure d’échanges, j’obtiens l’e feu vert des autorités maritimes pour les faire monter à bord. Nous apprendrons qu’ils sont pêcheurs, venus de Papouasie Nouvelle-Guinée (nous sommes à 70 milles soient 129 kilomètres) et qu’ils sont perdus sur cet îlot depuis 10 jours sans eau ni nourriture, subsistants avec les noix de coco. Nous les laisserons contacter leurs familles en Papouasie pour les rassurer. Nous les débarquerons à Coconuts Island.

 

Abandonnés purement et simplement

 

Venant de Papouasie pour pêcher, ils sont cinq dans un petit bateau. Le mauvais temps les échoue sur Rennel Island. Après une dispute, le chef décide de repartir en abandonnant trois des hommes. Il n’est jamais revenu. Sur l’île les naufragés ont seulement trouvé une vieille barque sans gréement ni moteur, celle avec laquelle ils ont rejoint le Nawaks. Aucun navire n’avait répondu à leurs signaux de fumée ou de miroir.

 

 

L’équipage a eu confirmation que les deux autres pêcheurs étaient bien rentrés à la maison.  On s’imagine la confrontation qu’ils vont avoir en les retrouvant dans leur village ! Les derniers mots sont ceux du capitaine : « Tout est bien qui finit bien. Ce soir les Australiens les ont pris en charge et vont s’occuper de les reconduire auprès des leurs. Ils ont eu une belle frayeur et sont très reconnaissants de notre intervention. On se rappellera longtemps de cette journée inattendue et de son beau dénouement ! »

 

 

Jean-Marie Quiesse avec ses remerciements à l'équipage du Nawacks.

 

Juillet 2023

 

 


[1] île de la Restauration

 

Des Glénans à Port la Forêt, le succès des écoles de voile

Christophe Agnus, marin et auteur de rubriques maritimes écrit : « Pour résumer la navigation de plaisance, les Britanniques ont une formule efficace : prendre une douche froide tout habillé en déchirant des billets de banque… Pourquoi ne suis-je pas resté calé dans un canapé face à la télé, là où sont tous les gens raisonnables… Ne restait que le souvenir des surfs au portant, du soleil se levant sur la mer pendant le dernier quart de nuit, du chocolat chaud forcément délicieux savouré assis dans le cockpit en regardant le sillage net et pur, de l’excitation quand les dauphins étaient venus jouer avec l’étrave, des fous rires avec les autres équipiers, du plaisir d’approcher le port à peu près à l’heure prévue… D’un formidable sentiment d’être bien en vie, et d’aimer cela ». Car ils aiment cela nos navigateurs.

 

Une flottille de légende

Dans les années 1920 les équipages des magnifiques cotres ailés comme ceux de Virginie Herriot lancent la mode du yatching.  Puis, prenant la suite de Josua Slocum (1895), Jack Voss (1901), Alain Gerbault (1923), ou Vito-Dumas (1942) personnifient l’aventure maritime individuelle tout comme Jean Yves le Toumelin en 1949 sur son Kurun. Le rêve de l’aventure en mer semble à portée de tous. De tous car il faudra toutefois attendre 1990 et la skipper Tracy Edwards pour qu’un team de femmes boucle son premier tour du monde en voilier. Mais la plaisance reste toujours le sport d’une certaine élite. Il faudra le développement industriel des dériveurs tels l’Optimist et toute une flottille légère de légende (Corsaire, Caravelle…) pour le populariser dans des écoles exceptionnelles comme les Glénans ou celles de Jeunesse et Marine.

 

L’école de voile des Glénans

Après la guerre et ses interdictions, la mer représente la liberté. En 1947, Hélène et Philippe Viannay, un couple de résistants, fondent avec les restes des centres nautiques créés par Pétain une première école des Glénans sur l’île du Loch. Dans un premier temps il s’agit d’un camp de vacances qui accueille une centaine de personnes rescapées de la guerre. Philippe Desjoyeaux, un chasseur alpin fait partie de l’encadrement. Passant du ski à la voile, il assure des cours de voile qui vont devenir l’activité majeure du centre grâce à une étroite collaboration avec les marins-pêcheurs de Concarneau.

 

Les valeurs sont vites définies : tolérance, respect, apprentissage de la vie collective, entraide et, surtout, mixité, fait absolument exceptionnelle pour l’époque. Comme cette mixité ne plait pas trop au propriétaire de l’île, la famille Bolloré. On s’installe alors sur celles de Penfret et de Drenec. En 1952, la Sereine d’Henri Dervin devient son cotre emblématique, toujours alerte aujourd’hui. Pour l’école, Jean Jacques Herbulot conçoit également le Vaurien, un dériveur de 4,8 mètres. Anne Sylvestre, fidèle élève des Glénans y écrira sa célèbre chanson « Mes amis d’autrefois. »[1] On invente aussi la brassière moderne et surtout Jean Louis Goldschmitt et Hélène concoctent le premier incontournable Cours des Glénans » repris ensuite Philippe Harlé et Claude Rougevin-Baville[2]. 

 

L’école de la vie de Jeunesse et Marine

Justement, le grand Claude Rougevin-Baville travaillait aussi pour Jeunesse et Marine, une association créée en 1959 par l’aumônier national pour le Scoutisme marin, Yves-Dominique Mesnard et Félix Romette. Ils ouvrent à Hourtin une première base de vacances, apolitique et non confessionnelle, centrée sur le nautisme, pour garçons ou filles. L’école de voile se développe rapidement sur le pourtour atlantique et en Méditerranée avec une prédilection pour le Morbihan et les îles. L’école propose en 1962 des stages spécialisés Marine marchande, Marine nationale, Marée et Pêche, Navires Météo, Plongée sous-marine. À partir de 1975, d’autres bases verront le jour, toujours dans le Golfe, mais aussi à Saint-Mandrier.

 

Une demande croissante pour la course au large

Aujourd’hui, les Glénans est la plus importante école de voile et de glisse d’Europe. Je rappelle aussi que l’ACAL est le plus important club terrestre de plongée et de voile du grand Est de la France.  Mais, surtout, le phénomène de la Course au large est en plein déploiement. En 1956 Philippe Desjoyeaux s’installe à Port la Forêt et participe à la création d’une marina en 1970. Elle accueille bientôt les navires de course. Michel Desjoyeaux et Jean Le Cam en font leur base. Le Centre d’entrainement national pour la course au large est alors ouvert Christian Le Pape et Loïc Ponceau en 1990. La cinquantaine de formateurs accueille aujourd’hui les plus grands skippers professionnels de l’époque et travaille principalement sur Monocoque 60 pieds et sur monotype Figaro Bénéteau III et Ultim.

 

2003 voit la naissance du Centre d’entraînement Méditerranée (CEM) de La Grande Motte qui se tourne davantage vers l’inshore (jeu de simulation de régates virtuelles) et l’olympisme. En 2008 Marsail, se positionne sur le coaching spécifique de la course en Méditerranée. Lorient Grand Large (LGL) caracole depuis 2010. Il a accompagné par exemple Clarisse Crémer, Erwan Le Draoullec, Adrien Hardy ou Thomas Ruyant. Enfin de plus petites structures ont vu le jour à la Turballe, la Trinité sur mer, Concarneau, La Rochelle, les Sables d’Olonne, Croix de Vie (Team Vendée Formation), Ouistreham, Le Havre.

 

Beaucoup partagent « cette fascination puissante et déraisonnable qui pousse les fourmis de la civilisation mécanique à diriger des regards éblouis vers l’océan » comme l’écrit si bien Paul Guimard. Et comme la Plaisance ne se limite pas à la navigation, les sports nautiques ont également un bel avenir devant eux : canoë-kayak, aviron, kitesurf, SUP, planche à voile, plongée.

 

Jean-Marie Quiesse

juin 2023



[1] Véronique Mortaigne – Anne Sylvestre, une vie en vrai – Equateurs, 2022

[2] Aujourd’hui l’école forme environ 15000 personnes par an et possède cinq bases (Arz, Paimpol, Bonifacio, Marseillan et Glénan)

Virginie Hériot ouvre la mer aux femmes

« Je regardais Ailée lutter dans la tempête. C’était beau : nous étions mieux que nous-mêmes. Je voyais mes hommes à la manœuvre : ce qu’ils faisaient était bien, parce qu’ils se donnaient la peine de rechercher ce qu’il fallait accomplir de justesse pour être de taille et de force dans la tempête qui faisait rage. » Ainsi commence Sur mer de Virginie Hériot, marin exceptionnel je vous propose de découvrir aujourd’hui.  

 

Madame la Mer reine des régates                                                                                                                                                               

« La régate peut-on rêver quelque chose de plus prodigieux et de plus beau ? C’est à la marine de plaisance et au sport qu’est réservé le grand honneur de sauver de la disparition totale une chose de beauté, le navire à voile » écrit Virginie Herriot celle qu’on surnomme Madame la Mer.

 

Déjà présente en Angleterre, la pratique du yachting atteint la France en 1838. C’est l’année de fondation des Régates du Havre avec la rapide Margot dont la voilure démesurée servira de modèle à plusieurs générations de cotres dits « de promenade ». En 1857 une première grande course internationale anglaise donne la vedette à la goélette América. Les compétitions vont alors se succéder, opposant, dès 1870, les imposants Défenders d’acier américains aux puissants Challengers. On garde en mémoire l’image des fameux Shamrocks, Britannia ou Colombia.

 

C’est un sport masculin où les élites financières de l’époque portent la casquette blanche à visière symbole de l’autorité du chef de bord. Le yacht étant défini comme bâtiment de plaisance on peut-dire que la Plaisance moderne est née avec lui.  En 1900 le yatching entre au programme des Jeux olympiques avec des cotres de grande taille d’une équipe de marins bien .  Et c’est une femme, la Suisse Hélène de Pourtalès qui gagne l’or. En 1928, c’est de nouveau une femme qui remporte la médaille d’or aux Jeux olympiques d’été d’Amsterdam, à la tête d’un équipage de 5 hommes sur Aile VI, Virginie Hériot celle qui disait en parlant du sort fait aux femmes de son temps : « il vaut mieux commencer une carrière à vingt ans qu’à cinquante ».

 

Faire aimer la mer aux Français

 

Je propose de m’arrêter sur cette personne hors du commun née en 1890 au Vésinet près de Paris et donc loin de l’océan. Hors du commun est un terme qui peut s’appliquer à l’immense fortune de sa famille, mais explique également l’exceptionnelle vocation maritime de Virginie et son but de faire aimer la mer.  En effet, à 14 ans, passant de longues vacances sur le Ketoomba, navire de sa mère, elle est reçue sur le croiseur de Pierre Loti et déclare « Je serai marine », aspiration qu’elle confirme en écrivant « Je suis toujours sentie attirée, comme appelée, par la grande voix du large ».

 

« J’ai pu guider mes vingt ans vers l’idéal et travailler pour la mer avec mes cheveux bruns, mes yeux clairs et toutes mes illusions vivantes »

Virginie Hériot est aussi une femme hors du commun de son époque. Certes elle se marie, à 19 ans et donne le jour à Hubert, mais divorce huit ans plus tard pour vivre librement sa vie. Où cela ? Mais à bord du Finlandia, un imposant yacht à vapeur de 85 m de long qu’elle vient d’acquérir. Elle ne quittera plus jamais le pont d’un navire. « La mer m’a appelée, puis elle m’a gardée. C’est en ne revenant plus que je me suis trouvée. » dit-elle.

 

Manche, Méditerranée, Atlantique :  En dehors des voiliers qu’elle fait construire spécialement pour des rencontres sportives, ses Petites ailes, elle va naviguer 28 ans sur quatre grands bateaux et parcourir 143 232 miles (266 000 kilomètres). L’Ailée II sera son trois-mâts préféré :  57 mètres et 1116 mètres carrés de toile manœuvrés par vingt-quatre hommes. Ambassadrice de la marine française, elle tient des conférences, pour populariser la voile française.  Elle écrit plusieurs ouvrages sur le monde maritime, dont un recueil de poèmes.

 

La légende est en route

 

« Je vis sur la mer une sorte de légende que je dois continuer, si possible » dit-elle. Effectivement, la légende est en route : Le Journal de 1928 raconte le fait divers suivant :

« Un jour que Jean Charcot manœuvrait par gros temps pour se mettre à l’abri dans un port de la Manche, son timonier s’écria : “Un voilier sur l’avant va couper notre route !” Et il ajouta en grognant, et pour lui tout seul, à n’en pas douter : “Nom… d’une chique, il y a une femme à bord ! Elle n’a pas peur de l’eau, celle-là !” Celle-là, c’était Mme Virginie Hériot. […] Dans sa longue capote cirée, elle avait grande allure, beaucoup de chic. Quand les bateaux se croisèrent, Jean Charcot salua la “commandante” qui lui rendit son salut de la main, gentiment ».

 

Le lendemain d’une dernière démonstration en mer sur un Petit ailé, elle décède un 28 aout 1932 dans sa maison flottante, l’Ailée II, à 42 ans. Elle aura ouvert la mer et ses sports aux femmes et germé des vocations. Elle qui écrivait « Je ne savais pas qu’en donnant à la mer ma tendresse elle me rendrait un jour en pensées, en action, en clairvoyance, tout ce que je possède aujourd’hui » a contribué à nous donner le gout de la voile et de ses compétitions.

Jean-Marie Quiesse

04 juin 2023

Références :

Virginie Herriot - Sur Mer éditions Nautilus 2020

Virginie Herriot - A bord du Finlandia 1929



La danse macabre des pavillons pirates

Pavillon noir, viv'ment qu'on s'barre
Si un jour la mer nous jette alors dis,
Qu'est c'qu'on f''ra de nous
Pavillon noir, Bon Dieu d'histoire
Plus j'la hais plus j'la déteste plus je l'aime
Plus je l'aime plus que tout -
Soldat Louis

 

 

 

Certains auteurs voudraient que la flibuste n’ait existé que pendant deux siècles, de 1700 à 1900. Or, la conquête des routes maritimes est une constante de l’histoire. Et pour ce faire deux solutions : s’approprier les routes de navigation et ses ports, mais aussi chasser les pirates, y compris avec d’autres pirates repentis ou payés pour cela.

 

 

Déjà les Égyptiens défendaient le delta du Nil. Chez les Grecs on parle de peiratês , ceux qui « tentent leur chance ». Ulysse fut un pirate crétois et Héraclès considéré comme tel. Jules César est capturé par ces bandits. Une fois libéré contre rançon il « les fit tous crucifier, comme il leur avait souvent dit qu’il le ferait quand il était sur l’île sur le ton de la plaisanterie. » Plutarque écrit encore : « Leurs flûtes et leurs instruments à cordes, leurs beuveries le long de chaque côte, leurs saisies de personnes haut placées, et leurs rançons sur les villes conquises, étaient une honte pour la suprématie romaine. Car, voyez-vous, les navires des pirates étaient plus de mille, et les villes qu’ils avaient prises quatre cents. » Mandaté et financé par le Sénat le général Pompée supprime la piraterie en moins de 90 jours.

 

 

Le pavillon rouge de la république libre de Salé

 

 

A la chute de l’Empire Romain la piraterie reprend de plus belle. Mille ans après, vers 1500, depuis Alger, Tunis ou Salé, ils dominent les mers. On fait beaucoup d’esclave dont des rameurs pour les galères sous le pavillon de la République de Salé qui représente un croissant de lune sur fond rouge, ils s’enhardissent et vont piller en Atlantique. De nombreux chrétiens, forcés ou par intérêt, deviennent des renégats et les marins se transforment en pirates. Ainsi John Ward qui en 1609 il se convertit à l’islam et prend le nom de Yusuf Reis. On dit que Barberousse, grand amiral de la flotte Ottomane avait été élevé dans la foi chrétienne.

 

 

Du Jolly Roger au pavillon noir

 

 

Mais, lorsque Colomb découvre l’Amérique, les Flottes de l’or vont sillonner l’Atlantique. Et les pirates quittent la Méditerranée pour chasser le galion. C’est un bon investissement. Ainsi le capitaine Tew, le créateur de Libertalia, sur une seule prise, donna à ses marins 1200 livres c’est-à-dire l’équivalent de 100 ans de salaire. Certains navires vont arborer le drapeau rouge comme Henry Avery, crâne au bandana avec boucles d’oreilles, ou de Cristopher Moody, pour celui-ci avec bras armé et sablier volant. Les Anglais appellent donc ce drapeau le « Joli Rouge ». En raison de la différence de prononciation en anglais, le terme « Jolly Roger » est né.

 

Le pavillon Edward Low dit Trompette de la Mort est représenté par un matelot soufflant une trompette en jaune sur un fond vert, référence aux oriflammes de l’antiquité. Mais  le pavillon noir est repéré pour la première fois près des côtes de Santiago de Cuba (en 1700) sur le voilier du français Emmanuel Wyne. Un crâne, un sablier et deux tibias entrecroisés. Un message simple aux adversaires : se rendre... ou mourir. Par ruse, les flibustiers affichent de faux pavillons. Mais ils hissent toujours leur drapeau à tête de mort pour provoquer une peur panique chez l’équipage abordé et le pousser à abandonner le navire sans endommager le butin.

 

Par ce symbole, les pirates expriment aussi leur refus d’une vie honnête et misérable, au profit d’une existence pleine d’aventures et de richesses, même si elle se termine souvent au bout d’une corde. 

 

La danse macabre du « memento mori » Souviens-toi que tu vas mourir

 

Le drapeau de Jean Thomas Dulaien montre sabre et sablier portés par un homme nu, les pirates sont en effet souvent démunis de tout et réduits à toute extrémité. Barbe Noire représente un squelette peint en blanc avec une tête de diable brandissant un sablier dans la main droite et une lance à pointe de flèche en direction d’un cœur rouge et sanglant. La Buse exhibe son squelette sur fond blanc, Bartholomew Robert trinque avec la mort ou danse sur deux crânes avec les lettres ABH (A Barbadian's Head) Mort à la Barbade et AMH (A Martiniquian's Head) mort aux Martiniquais, John Quelch dessine un homme nu qui tient sablier tandis qu’une lance lui perce un cœur. Black Bart fait flotter au vent des Alizés un pirate qui combat la mort. Jack Rackham dessine deux sabres croisés à la place des os.   Jacotte Delahaye hisse une femme en habits dansant avec un squelette et un cœur. John Philips qui capturera 34 navires en trois ans présente un squelette sablier cœur percé. Anecdote appétissante, le pavillon de Christopher Condent arbore aussi trois têtes. On raconte qu’il avait mangé devant son équipage la cervelle d’un traitre.

 

La piraterie Caraïbe s’arrête en 1718 avec la chute de Nassau. Elle continuera en fait dans les mers d’Asie. La tradition macabre fut oubliée jusqu’à la résurrection du pavillon noir dans l’Île au Trésor en 1881 et Peter Pan en 1902. Et depuis il fait fortune.

 

Le pavillon officiel du Commandant l’Herminier

 

Les sous marins allemands tout comme certains chasseurs britanniques portèrent ce fanion durant la Seconde guerre mondiale. Aujourd'hui il est interdit à tout navire français. Un seul navire militaire a été autorisé à hisser le crâne surplombé de deux tibias, jusqu'en 2018 : l'aviso Commandant l'Herminnier. Un pavillon de tradition accompagné de sept glaives, sept missions glorieusement accomplies et du symbole Corse . L'Herminier était commandant du sous-marin Casabianca qui défia les Allemands et possédait son drapeau pirate offert par les anglais.

 

Les modernes pirates

Bien sûr il existe toujours des pirates maritimes dans le Golfe de Guinée ou en mer rouge notamment. Mais les modernes pirates écumeurs de bases de données brandissent ouvertement le pavillon noir de KIDD. Ils sont, eux aussi, souvent de simples corsaires au service d’administrations ou de firmes internationales. Mais les justifications affichées n’ont guère varié : se résigner et obéir ou hurler « A l’abordage » ! Des partis politiques Pirates existent également un peu partout dans le monde. En France, en 2022, ils ont présenté une centaine de candidats pour les législatives. Leur logo est un simple drapeau noir. « Ne feriez-vous donc pas mieux de devenir l’un des nôtres que de ramper aux ordres de ces ordures pour trouver de l’emploi »[1] dira le pirate Bellamy au capitaine d’un sloop qu’il venait d’arraisonner !

 

Jean-Marie Quiesse - avril 2023

 



[1] Tout de même, que la vérole vous emporte, faut dire que vous êtes un sournois de petit morveux du même acabit que tous ceux qui se laissent mener au bout du nez par les lois qu’ont faites les riches pour leur propre sécurité, vu que c’est le seul moyen que ces poltrons ont trouvé pour défendre ce qu’ils ont accaparé en le volant. Mais que la peste vous emporte, tous autant que vous êtes, aussi bien cette poignée de bandits forcenés que vous autres qui les servez, bande de paillassons aux cœurs de chiens ! Et ils osent nous traiter de haut, ces forbans, quand la seule différence entre eux et nous, c’est qu’ils volent le pauvre sous le couvert de la loi et que nous pillons le riche sous la protection de notre seul courage ! Vous auriez pas intérêt à devenir l’un de nous, des fois, plutôt que de vous glisser aux culs de ces charognes dans l’espoir d’un casse-croûte ?

kaveinga, la route des étoiles

 

 

 

Seul

Dans sa pirogue

Avec le ciel tout en haut

Et la mer, la mer tout autour 

(Flora Aurima Devatine)

 

 

Le cinquième continent

 

D’après les légendes Océaniennes, il existerait deux types d’hommes : les héros qui découvrent les îles, capitaines de leur destin, et les valeureux pêcheurs qui entretiennent les relations entre elles.[i] Partie d’Asie, la colonisation Maori va prendre 2500 ans et aller jusqu’à Rapa Nui, l’île de Pâques, tout près des côtes Américaines. Il s’agit là d’un formidable périple maritime réalisé à partir de techniques de fabrication navale exceptionnelles doublées d’un savoir-faire de navigation hors pair.

 

Micronésie, Mélanésie et Polynésie, forment l’Océanie. C’est un continent de 25 000 îles, creuset d’une véritable société structurée par la vie maritime, celle de Maori avec 38 langues[1] et 40 millions d’habitants.

 

Une pirogue omniprésente

 

Les grandes pirogues sont de véritable s« arche de Noé » chargées de tout ce qui est nécessaire à une nouvelle implantation. Cette pirogue, « va’a Kaulua» est une référence essentielle de ces sociétés où naviguer est la vie. C’est d’ailleurs un élément premier du tatouage en Polynésie occidentale. Confisquées et détruites par les autorités coloniales, leur disparition a fortement contribué à la sédentarisation des populations mais aussi à leur appauvrissement. 

 

 

De Tupaia à David Lewis un monde de chants

 

Mais c’est la science de la navigation qui retient maintenant notre attention. Le Pacifique est immense et les îles petites.  La nuit on s’oriente par une connaissance exceptionnelle des astres : chaque île, chaque passe, chaque écueil possède son étoile personnelle. Le jour se développe un sens aigu des vents, courants, température de l’eau, direction de la houle, aspects du ciel, odeurs, mouvement des oiseaux. Rien n’est écrit, tout est mémorisé à travers des psalmodies et des chants. Des cartes « à bâtonnets » matérialisent les directions de la houle, des courants, la position des atolls. On ne les emporte pas à bord, mais elles sont mémorisées au cours de cérémonies d’initiation. "Être navigateur demandait des facultés de mémoire exceptionnelles et tout à fait étonnantes pour les Européens dont l’habitude est de répertorier par écrit".[ii]

 

Et ceci m’amène à évoquer ici le souvenir de l’un de ces marins, le célèbre Tupaia. En 1769, ce grand pilote de l’île de Raiatea va se joindre à l’expédition de James Cook. D’abord dubitatif, Cook est amené à reconnaître cette science de la navigation par les compétences et les connaissances dont fait preuve son pilote.

 

Plus près de nous,  David Lewis sur son Rehu Moana, un des premiers catamarans modernes, dans les années 1960, atteint depuis Tahiti la Nouvelle-Zélande en trente-cinq jours avec une erreur de 26 milles nautiques seulement, en utilisant les vieilles techniques polynésiennes de repérage par les astres et les instructions orales des anciens Polynésiens[iii]. En 1976, Mau Piailug maître marin mena, sur 4000 kilomètres la pirogue de voyage Hokuled des Caroline jusqu’à Tahiti.

 

Tous ont suivi « kaveinga », la route des étoiles. Et ce mode que l’on pourrait penser comme primitif est aujourd’hui la base des raisonnements pour les systèmes de repérage des robots, notamment ceux qui explorent les grandes profondeurs[2].

 

Jean-Marie Quiesse

Mars 2021

 

 Le livre : Vivre la Mer - Hélène Guiot - Expressions océaniennes de l'insularité

Les filles du vent - David Lewis

 

[1] Langue d’origine austronésienne

[2] Luc Jaulin  - Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale, chercheur au Lab STICC à Brest. https://interstices.info/naviguer-comme-les-polynesiens/


[i] Vaimu’a Mulaiava – Vivre la mer – Presses universitaires de Rennes, 2013

[ii] Soizic Le Cornec, Casoar, 2018 - https://casoar.org/2018/06/13/le-compas-peut-etre-defaillant-les-etoiles-jamais-naviguer-dans-le-pacifique/

[iii] David Lewis – Les filles du vent – Éditions maritimes et d’outre-mer, 1969

 

 

La pierre secrète des Vikings

Navigation à vue

Pendant longtemps se mettre en mer consistera à longer les côtes. Des instructions nautiques intitulées « périples » dans l’antiquité et « routiers » au Moyen âge donnent des images du littoral avec estuaires, paysages et amers. Les récifs, la nature et la mesure des fonds y sont également détaillés. Encore faut-il pouvoir se positionner sur la carte. On le fait à l’œil d’où le terme naviguer à vue. Si le continent est visible par beau temps, pour beaucoup l’horizon semble un mur infranchissable.

 

En ces époques anciennes l’eau sépare et dissimule. Les mers sont pleines de secrets à découvrir pour comprendre le monde. Si la Méditerranée est très vite connue, mesurée et représentée, Atlantique et Pacifique resteront longtemps, des espaces infinis et inquiétants. Pour piloter droit sur le dos énorme des eaux, domaine du redoutable Poséidon, il faut de la ruse, du flair et de la chance[1]. Il faudra attendre Magellan pour prouver que l’infini des mers n’existe pas et que les continents ne sont que des îles.

 

Se positionner loin de tout repère

Et, loin d’une terre comme se repérer ? Mis à part les Océaniens et les Phéniciens qui se dirigeaient parfaitement aux étoiles, longtemps les marins n’ont connu que la latitude, position par rapport à l’équateur déterminée par observation de la hauteur du soleil ou de la Polaire sur l’horizon. Certes la boussole va améliorer la navigation, mais elle n’est pas vraiment fiable et reste sujette à l’influence des pièces métalliques comme les canons. Les erreurs d’atterrissage étaient très courantes et peuvent conduire à des catastrophes comme celle de quatre vaisseaux de la Royal Navy perdus corps et biens le 22 octobre 1707 sur les îles Scilly.  On dénombrera 2000 morts, dont l’Amiral.

 

Course royale pour la suprématie maritime

En 1714 les souverains des grandes puissances maritimes proposent des récompenses pour celui qui trouvera une solution au problème de la longitude. Jusqu’à présent on retournait les ampolletas, sabliers pour calculer le temps écoulé, et on filait des cordes à nœuds pour évaluer (en nœuds) la distance parcourue en tenant compte des changements de cap. En 1760, c’est un horloger qui va remporter la compétition en testant le premier chronomètre. Il conserve en permanence l’heure du méridien de référence et donne avec précision, sans aucun retard, le temps écoulé et l’heure du jour. [2] Mais nous sommes déjà au 18èm siècle ! 

 

Le mystère de la pierre du soleil des Vikings

Or, on s’émerveille de la capacité des Vikings de traverser l’Atlantique sept siècles auparavant. Ils cinglaient ainsi vers le Groenland, l’Islande, Terre Neuve et peut-être l’Amérique. Il est vrai que l’on a retrouvé dans le fjord Uunartoq au Groenland en 1948 un compas solaire. Ce cadran permettait de repérer un axe nord/sud mais aussi une latitude et donc de suivre un cap d’autant plus fiable que la courbe de déclinaison varie lentement à la belle saison. Mais comment faisaient-ils pour repérer le soleil dans un univers de brouillards permanents ?

 

Les sagas parlent d’une Pierre du soleil, mais tout cela était classé au rang des mythes. Un texte pourtant est clair (si l’on peut dire)

« Le temps était couvert et neigeux, comme Sigurður l’avait prédit. Alors le roi convoqua Sigurður et Dagur. Il demanda à ses hommes de regarder autour d’eux, personne ne trouva le moindre recoin de ciel bleu. Puis il somma Sigurður de désigner le soleil, lequel donna une réponse ferme. Alors le roi envoya chercher la pierre de soleil et, la tenant au-dessus de lui, vit la lumière jaillir et ainsi put vérifier directement que la prédiction de Sigurður était bonne. »

 

La lumière émerge d’un vaisseau anglais

D’après un article du journal de la Royal Sociéty paru en 2011,  un fragment de 5 cm de cristal, a été repêché à Alderney (Aurigny), île Anglo-Normande, dans l’épave d’un navire anglais du 16èm siècle.

 

Selon les travaux des physiciens Guy Ropars et Albert Le Floch, chercheurs à l’université de Rennes, et de leurs collègues anglais[3], la mystérieuse « pierre de soleil » serait un spath d’Islande. Ce cristal de calcite transparent, relativement courant en Scandinavie, a en effet la particularité d’être « biréfringent ». Concrètement, si on regarde le ciel au travers du cristal, le faisceau lumineux entrant ressort sous la forme de deux faisceaux aux intensités différentes. En tournant le minéral, les deux intensités finissent par être les mêmes, ce qui permet de localiser le soleil sur la voûte céleste, même par temps couvert ou au crépuscule. On l’aurait utilisée conjointement avec le compas solaire. Il a perdu sa transparence, mais a gardé sa géométrie caractéristique, un rhomboèdre (2), avec ses angles bien nets. Sa forme est intacte. Il aurait pu être l’instrument complémentaire d’une boussole peu fiable, parce que dérangée par la masse métallique des canons.

On attend maintenant de retrouver un navire viking équipé de cet instrument…

 

Jean-Marie Quiesse – mars 2023

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Anne Dieuleveut flibustière au caractère bien trempé

Au-delà du franchissement des limites géographiques, le voyage est parfois une transgression des frontières fixées par la société : libération du milieu familial, mais également les rôles traditionnels et sexués. Ainsi dans les sociétés un peu bouclées des siècles précédents, c’est souvent une femme qui représente le pays mystérieux dont il faut s’emparer. L’aventure est un terme féminin. Voyez le nombre d’îles à connotation féminine, de caps et d’amers. Si certains marins sont partis le cerveau plein de flammes vers des paradis enchantés, d’autres y ont atterri par hasard « ce ne sont pas des aventures, ce sont des accidents » dira Henry de Monfreid. Et parmi ceux-ci les femmes ont été souvent embarquées, débarquées et trop souvent oubliées. Certaines sont pourtant bravé les portes du temps et des mémoires.

 

Des femmes au destin hors du commun

Ce sont des personnes au destin exceptionnel. Nous avons déjà évoqué dans ces rubriques les Filles du Roy expédiées dans les colonies ou celles qui sont à l’origine de la population européenne d’Australie. Mais il existe également des femmes transgressant les lois, c’est-à-dire des corsaires ou des pirates. Ainsi Anne de Belleville, Annie Van de Wilde, mais aussi les très connues et amies, Anne Bonny ou Mary Read ou encore, plus près de nous, les contrebandières de la Rum Row.  Parlant des communautés très masculines des Frères de la Côte nous avions également montré que, lorsque la Tortue devint française, le gouverneur d’Ogeron fit venir des filles pour développer la colonie.

 

 

Anne Dieu-le-veut, une pirate en jupons

 

C’est ainsi qu’Anne débarqua à la Tortue. Baptisée à Gourin en Bretagne le 28 août 1661 Dieuleveut est son véritable nom breton. Il colle si bien à son caractère bien trempé qu’on dira « quand Anne veut quelque chose, elle l’obtient aussi sûrement que si Dieu le voulait ». Elle se marie trois fois avec des flibustiers et donne la vie à quatre enfants. Contrairement à d’autres, elle ne dissimule pas son sexe. Bien au contraire, on prétendra qu’elle portait chance aux expéditions.

 

Un caractère bien trempé

 

Quoi qu’il en soit, quand Anne apprend qu’un célèbre flibustier, Laurent De Graaf a dit des « grossièretés » à son sujet, elle se fâche tout rouge. Elle va le trouver à la taverne alors qu’il qui cuve son vin, le réveille à coups de pieds et le provoque en duel. « Si à midi vous ne m’avez pas rejoint sur la place, je reviendrai vous chercher et vous verrez comment une femme peut vous fendre le crâne ». Au rendez-vous, Laurent tire son sabre avec l’intention de l’embrocher sur-le-champ, mais Anne Dieu-le-Veut le désarme d’un coup de pistolet. Après quoi, le pirate redevient gentilhomme, prétend que ses principes lui interdisent de se battre contre une femme et finalement demande sa main. Le deuxième époux d’Anne étant mort au combat quelques années auparavant, Anne accepte la proposition.

 

 

Une célèbre prisonnière

 

Quant à la légende d’Anne-Dieu-le-veut, elle veut qu’après la disparition de De Graaf coupé en deux par un boulet, elle prend le commandement du navire. Loin de fuir les Espagnols supérieurs en nombre, elle mène son équipage à l’abordage. La bataille est acharnée, mais les flibustiers sont finalement vaincus. Les hommes sont exécutés et jetés par-dessus bord, Anne, blessée d’une balle à la cuisse, est transportée à Veracruz puis à Carthagène, deux villes que Laurent De Graaf a pillées quelques années plus tôt.

 

La notoriété d’Anne est si grande qu’on dit que Pontchartrain, secrétaire d’État à la marine de France, intercède auprès du Roi d’Espagne et obtient sa libération. C’est la dernière mention d’Anne. Après, on ne sait plus ce qu’elle devient. Sinon qu’elle aurait eu une fille qui aurait vécu en Haïti. On racontera qu’elle provoquera, elle aussi, en duel un prétendant trop insistant un peu trop et le tuera en disant « T’es pas mon genre. Tu piges ? ». Telle mère, telle fille !

 

Jean-Marie Quiesse février 2023

Merveilles des phares

Aquarelle commandant Guy Quiesse
Aquarelle commandant Guy Quiesse

Les phares sont un peu comme les chansons. En pleine nuit, vous avez pris votre vélo et, guidé par ses faisceaux, vous arrivez au pied de la tour. Le feu en étoile qui tourne à son sommet semble une musique, celle du silence. Comme une voix c'est un signal unique qui perce la nuit de son refrain. "De la naissance au grand sommeil veille le flambeau de la Vieille" chante Louis Capart.

 

 

 

Tout commence par une belle légende maritime

Longtemps les marins se sont fiés aux étoiles et aux astres. S’ils indiquaient la route et parfois positionnaient les îles comme chez les Polynésiens, ils ne prévenaient pas des dangers de la côte. C’est pourquoi dans l’antiquité la navigation de cabotage faisait halte chaque soir dans un mouillage.

 

C’est d’ailleurs sur une plage que, nous raconte Pline l’ancien, des Phéniciens faisant leur feu sur le sable eurent la surprise de voir un liquide transparent se met à couler : du verre !  Ce même verre deviendra la matière première des lanternes phéniciennes disposées sur les côtes, mais surtout miroirs et des lentilles qui vont équiper les phares quelques millénaires plus tard.

 

Des merveilles du monde

Longtemps pourtant les repères nocturnes maritimes sont de simples foyers de bois qui servent au salut des équipages, mais aussi parfois, allumés par les naufrageurs, à leur perte. Car il s’agit de prévenir des dangers éventuels et de signaler les ports.

 

Ce système s’améliore à travers les siècles : on positionnera les feux (un terme qui a d’ailleurs persisté) en haut des édifices comme à la tour de Constance d’Aigues-Mortes, celle de Calais en 1290, mais également des clochers telle la lanterne de l’abbaye de la pointe Saint Mathieu, peut-être le plus vieux phare breton avec la tour aux Anglais à Damgan.

 

Toutefois il existait déjà depuis l’antiquité des constructions spécifiques comme celle qui a donné le nom de « phares », sur l’île de Pharos près d’Alexandrie et le colosse de Rhodes coiffé de sa torchère. Ce sont souvent des prouesses architecturales et des ouvrages de toute beauté comme les deux précédents classés parmi les sept merveilles du monde.

 

À Douvres subsistent également les ruines d’un fanal romain.  Le premier phare français bâtit il y a 400 ans, celui de Cordouan qui domine l’estuaire de la Gironde de ses 68 mètres, est qualifié du Versailles des mers.

 

L’éclairage général des côtes

Il faut attendre le XVIIème siècle pour voir les huit phares français devenir quinze. La progression ne va plus s’arrêter. En 1850 on en compte 58. Les naufrages sont alors divisés par cinq ! Le feu de bois va céder la place à la lampe à huile équipée de miroirs. La lentille Fresnel (qui a été inventée par un bien nommé Jean Baptiste Soleil), gaz et pétrole vont augmenter la puissance lumineuse et la portée, enfin, en 1850 tous les feux seront électrifiés suite à l’impulsion donnée par Léon Bourdelle directeur du service des phares et balises.

 

Quant à l’automatisation, elle prendra un siècle à s’installer, mais elle commence déjà en 1893 dans l’estuaire de la Loire. Kereon en mer d’Iroise clôturera la liste. Malgré les avancées du GPS, il existe encore 1500 phares dans le monde. Certains comme celui de la Coubre en Charente maritime, construits à l’origine à plus d’un kilomètre du rivage sont témoin des avancées de la mer.

 

Un mot qui ouvre l’imaginaire

Phare deviendra synonyme de génie, d’amour, d’intuition et d’espoir. C’est lui le gardien et le guide moral qui dirige les âmes vers la lumière. C’est donc un symbole très présent dans les arts et les romans populaires. Nous avons déjà parlé d’Ar Men, l’enfer des enfers. Les histoires se régalent en effet de ces lieux isolés, hostiles, fermés, confinés, où les seuls déplacements s’effectuent en verticalité comme dans le très célèbre et quelque peu morbide « Tour d’amour » de Rachilde. Les poésies évoquent souvent l’émotion existentielle développée dans ces tuyaux de pierre, mais en même temps la magnificence des constructions.

 

On retient quelques exploits de ces marins de la verticalité comme celui de Grace Darling du phare de Longstone dans le Northumberland. En 1838, en pleine tempête, la fille du gardien partira avec son père dans un petit canot à rames pour sauver neuf hommes du Forfarshire réfugiés sur la coque brisée en deux sur les rochers. Un simple réflexe terrestre immédiat, un choix libre dans un environnement de liquidités.

 

Pour finir comment ne pas évoquer les phares du bout du monde comme celui de l'île des États, en Patagonie d'Argentine, San Juan del Salvamento, célèbre par les écrits de Jules Vernes, une simple maison en bois perché à 70 m au-dessus de la mer sur un éperon rocheux. Et, plus proche bien qu’à 12 780 km de distance !), la réplique érigée par André Bronner au large des Minimes, C’est le dernier né des Phares de France, mis en service en 2000.

 

Jean-Marie Quiesse

 05 12 2022

Guillaume le Conquérant le Viking franchit le Channel

La Normandie s’apprête à célébrer en 2027 le millénaire de la naissance de Guillaume le Conquérant. Dès décembre 2022, montés sur deux chevaux de bronze réalisés par Claude Quiesse, marin et artiste, le Duc de Normandie et sa femme Mathilde de Flandres vont prendre place, pacifiquement, devant le château de Caen. C’est l’occasion pour moi d’évoquer les Vikings, grand peuple des mers et leur glorieux descendant qui traversa la Manche avec ses mille navires.

 

 

Les Vikings à l’origine du vocabulaire maritime

 

 

Les Vikings, grand peuple de navigateurs parcourut les océans jusqu’en Amérique (Vinland). En l’absence de boussole, ils s’orientaient par diverses méthodes classiques, mais également grâce à une « pierre de soleil » dont le secret a été levé en 2000[1]. Il s’agit d’un cristal commun donnant la position du soleil, quelle que soit la couverture nuageuse. Les Vikings nous ont légué quelques termes géographiques courants comme le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest, mais aussi un riche vocabulaire maritime : équipage, esquif, beauprés, quille, étrave, hublot, ris et de nombreuses manœuvres comme la drisse et les haubans. Sans oublier les : crabe, orphie, homard, mouette, nez, raz, bec (rocher), crique, gare (berge), flot, flotte, houle, vague, havre, varech, digue[2]. Et les fameux bâbord et tribord ! Les verbes cingler, sombrer, touer (haler) viennent pareillement de la langue nordique.

 

 

Maîtres des mers et des fleuves durant deux siècles (793 à 1066)

 

 

On a déjà entendu parler dans les Rumeurs des docks de la soi-disant Liberté des mers qui se résume surtout à acquérir la puissance maritime pour contrôler les voies commerciales. Dès 820 les Vikings en sont les maîtres ainsi que des estuaires et terres accessibles par les cours d’eau. Leurs légers esquifs à faible tirant d’eau remontent fleuves et rivières et rapinent les campagnes françaises. Coup d’éclat, en 885 la flotte de Siegfried assiège Paris avec pas moins de 700 langskip (longs navires ornés de dreki-dragons). C’est plus tard que le chef Rollon et le roi Charles III, souhaitant mettre fin au conflit, signent le traité de Saint Clair sur Epte en 911. Cet accord donne à Rollon un immense territoire qui deviendra la Normannie puis la Normandie au XIIe siècle. Mais les Vikings continueront à guerroyer un peu partout durant plusieurs décennies (1066) et ouvriront de nombreuses voies commerciales sur terre comme sur mer.  

 

 

Guillaume de Normandie descendant Viking

 

 

 

Un des plus célèbres descendant des Vikings est Guillaume le Conquérant né vers 1027. Son père Richard Premier est devenu duc de Normandie à 17 ans. On l’appelait le Magnifique, mais aussi le Diable, soupçonné d’avoir empoisonné son frère pour prendre le pouvoir. Après une vie tumultueuse, il meurt à 25 ans.  Guillaume, âgé de 7 ans, lui succède et s’impose en écrasant en 1047 une puissante rébellion.  Richard avait déjà tenté d’envahir l’Angleterre, mais sa flotte avait été dispersée par une tempête au large de Jersey. En pleine période d’instabilité politique chez les Anglais, Guillaume, lui, va y parvenir.

 

 

 

Mille bateaux traversent la Manche

 

 

Le 27 septembre 1066, le Duc Guillaume et sa flotte traversent la manche pour conquérir l’Angleterre. Son vaisseau amiral est un « mora », navire typiquement normand construit à Barfleur et orné en tête de mât d’une girouette dorée typiquement Viking, la wirevite. On dit aussi que « La Mora » aurait été le nom de ce drakkar offert par la reine Mathilde qui le fit équiper d’une figure de proue représentant un enfant d’or, désignant l’Angleterre de son index droit et pressant une corne d’ivoire de sa main gauche. On connait la suite : 15 000 hommes, 1 000 bateaux et 3 000 chevaux puis la victoire d’Hasting et la couronne d’Angleterre.

 



[1] Leif Karlsen mort en 2008 a écrit le livre « Secrets of the viking navigators » paru au début des années 2000. Dans un article paru entre 2006 et 2008, il décrit les aspects théoriques et pratiques de sa découverte et décrit un appareil qu’il a confectionné et qui lui a permis de la valider expérimentalement. Ses recherches seront validées par Albert Le Floch et Guy Ropars de l’université de Rennes 1 en 2011. https://www.lamanchelibre.fr/actualite-32116-le-secret-de-navigation-des-vikings-enfin-perce

[2] Le vocabulaire normand d’origine scandinave par Gilles Mauger https://magene.pagesperso-orange.fr/secrets2.html

 

 

Les pirates du Mulhouse - L'odeur de l'or liquide

Le Gure-Herria, de La Morue Française (Mulhouse) -  Collection Jack Daussy
Le Gure-Herria, de La Morue Française (Mulhouse) - Collection Jack Daussy

La mer a toujours tenté les convoitises. Rhum et whisky sont de l’or liquide. Les modernes pirates ont troqué l’habit rouge de Kidd contre le ciré. Il suffit parfois de traverser un quai civilisé et de quitter ses rumeurs pour se trouver embarqué dans une drôle d’aventure. Lorsque le mousse Marc Herniot pose son sac sur le Mulhouse, aimable chalutier Cap-Horniers, il ne sait pas qu’il va en vivre une sérieuse.

 

13 juin 1924, au large de Long Island, ce vapeur de la puissante compagnie La Morue Française et Sécheries de Fécamp, a jeté l’ancre et attend, mollement balancé. Au loin, sur la mer près de l’horizon le capitaine Ferrero distingue quatre points noirs. Il attrape les jumelles à main droite, toujours prêtes. Une fois le réglage terminé, il identifie quatre goélettes sous voiles. Plus tard on apprendra qu’elles portent toutes, comme les caravelles de Christophe Colomb, des prénoms de filles : Destin Tessie, Maud, Catherine Marie et Mary Conrad.

 

Route du rhum, le royaume des pirates modernes

 

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sèche le 28 octobre 1919 les États-Unis interdisent toute consommation d’alcool. Le long des eaux territoriales s’établit une couronne de vaisseaux, c’est la Rum Row, l’avenue du Rhum. Casinos et dancing y font la fête toute la nuit. Elle sert également de relais de contrebande pour les vedettes qui ravitaillent la côte.

 

Les pirates de la Rum Navy qui sévissaient jusque là sur la cote d’Indochine ont trouvé un nouveau terrain de jeu pour déjouer les « gobs », les bonnets blancs de la marine militaire. Ce sont parfois des célébrités comme Willy l’Espagnol, Spanish Mary et surtout Gertrude Lythgoe la reine des Bahamas. À côté des flibustiers réguliers gravitent également les hight-jackers, de vrais bandits de la haute mer, prêts à tout dès qu’ils sentent le parfum du rhum. Leurs navires portent des prénoms suaves de blues ou de fox-trot.

 

Un abordage à l’ancienne

 

Les armateurs français approvisionnent le commerce en toute légalité. Ainsi le Mulhouse a chargé près de 40 000 caisses d’alcools au quai Bérigny et attend les trafiquants, en dehors des eaux américaines. Le 17 juin, après d’âpres négociations sur le prix de la marchandise, une goélette, le Patara s’accouple par bâbord du vapeur. Les acheteurs montent à bord. Dans le salon la discussion reprend jusqu’à ce que le bootlegger américain pose son stylo et brandisse un révolver. Les Français lèvent les mains. Derrière chaque hublot du carré apparait la tête d’un bandit les doigts crispés sur son browning. Au cours d’un abordage à l’ancienne, les pirates ont pris possession du navire dont ils brisent les appareils radio.

 

Razzia en règle

 

Commence un transbordement hasardeux durant plusieurs jours, tandis qu’on s’amuse à boire, chanter, saboter systématiquement le bateau et maltraiter l’équipage. Objet de convoitises, notre pauvre mousse Marc Herniot trouvera heureusement une cachette sûre.  Aux goélettes déjà citées s’adjoignent d’autres navires au nom de femme comme Tessie Aubrey, Quaccho-Queen ou Genevièvre. Lorsqu’il ne reste que 1231 caisses à bord du Mulhouse, interdisant au capitaine de relâcher dans un port américain, tous ces beaux messieurs quittent le bord après avoir ligoté et enfermé l’équipage.  

 

Quelques jours plus tard, le Mulhouse est retrouvé, dérivant, et ramené à Saint Pierre et Miquelon, base du commerce des spiritueux. Les assureurs refusent d’indemniser. Un long procès aura son issue quatorze ans plus tard déclarant que : "(…) cette compagnie était dans une situation illégale et que pour obtenir réparation il doit y avoir un préjudice certain et la victime ne doit pas se trouver dans une situation qui exclut le droit à réparation". La Morue Française fut condamnée aux dépens.

 

Mais on sait que le Mulhouse reprit ses rotations puisqu’en avril 1926 on le retrouve à nouveau désemparé au large de Terre-Neuve, avec encore dans ses cales un chargement d’alcool pris à Saint-Malo. Et de persistantes rumeurs disent que de grosses poignées de dollars changèrent souvent de mains sur les docks de Fécamp. Tout en liquide évidemment !

 

Références  

Etienne Bernet / © Édition Association Fécamp Terre-Neuve

Pierre Mac-Orlan – Les pirates de l’avenue du rhum - Cartouche - 2020 

 

Jean-Marie Quiesse – juin 2022

La Liberté des mers, mythes et réalités dans une odeur de poudre

Une liberté des mers qui se réduit
Une liberté des mers qui se réduit

 

1. Le bateau c’est la liberté

 

« Le bateau c’est la liberté» disait Bernard Moitessier. De nombreux navires ont porté ou portent encore, le beau nom de Liberté. A son image, les bateaux engendrent bien des rêves d’aventure et de fortune. Paquebots, remorqueurs, croiseur côtier, ferries, chalutiers, cuirassés et même le petit voilier côtier Liberté grand frère du Corsaire de Jean Jacques Herbulot, très grand architecte naval.

 

 

2. La mer c’est la liberté

 

Comme ses navires, la mer est aussi symbole de liberté. La poésie, dit-on, nous parle de la nature humaine dont une des caractéristiques est la recherche de la liberté tout comme l’est souvent l’art de naviguer.  Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame » écrivait Baudelaire qui lui-même avait navigué quelques mois jusqu’à l’île Maurice. Le poète et marin marseillais Louis Brauquier publiera en 1941 un recueil intitulé « La liberté des mers ». 

 

Une des plus célèbres chansons de marins sur ce thème est celle du « Forban », particulièrement dans sa version dite originale

 

A moi forban que m’importe la gloire
Né fils de roi et de prostituée
Sur des cadavres j’ai chanté la victoire
Et dans un crâne j’ai bu la liberté

 

 

3. Une liberté ponctuée de combats navals pour son appropriation

 

A l’image de l’eau et de l’air, elle appartiendrait à tout le monde et personne ne peut se l’approprier. Et pourtant cette Mare Liberum pour éviter qu’elle ne devienne la proie des seuls pirates avec leurs incursions sur les routes maritimes et les côtes, il a toujours fallu en règlementer l’usage et pour cela construire des puissances maritimes qui y font peut être régner l’ordre mais aussi souvent se l’approprient avec ses routes maritimes, ses ressources halieutiques, les richesses de son sous sol, le passage des câbles sous-marins et des pipe-lines. Sans oublier l’espace aérien qui dominent les espaces marins. 

 

Tout a commencé en Méditerranée avec la puissance Minoenne, puis celle d’Athènes aux 300 galères suivie de la politique romaine de pacification de ce qui devint leur « Mare Nostrum ». Plus tard c’est aussi sur la Méditerranée que sera contrée l’avancée Ottomane. Côté Asie la Chine a été la première puissance maritime au XVème siècle. Son architecture navale était très en avance sur l’Occident. L’Empire du milieu avait inventé la roue à aube et les bombes à poudre noire. A travers les âges et la géographie, toutes ces puissances ont eu deux points communs : la lutte pour posséder les routes maritimes et des ports et la lutte contre la piraterie[1]. Comme on le voit cette  liberté est bien mal malmenée et se maintient le plus souvent à coup de batailles navales. C’est comme toujours en son nom qu’on justifie les combats. 

 

 

4.  Les mers sont-elles un bien commun ou la propriété des états ?

 

Au nom de la Liberté de la mer, commune omnium, à savoir la Méditerranée commune à tous, les Romains[1] font de la Mare liberum une Mare nostrum. Bref ils se l’approprient en développant une puissante flotte de guerre. Après la chute de Rome, il restera pour plusieurs siècles le seul droit coutumier de la possession d’une simple bande de 3 miles (portée d’un boulet de canon) pour chaque nation maritime. Le reste sera livré aux pirates jusqu’à l’apparition d’une nouvelle  souveraineté, celle de Venise vers le 14e siècle. Mais déjà la question se pose ailleurs avec la route des Amériques. Les traités de Tordesillas (1494) et de Saragosse (1529) partagent les terres et les mers entre l’Espagne et le Portugal.

 

Mécontents l’Angleterre comme la France vont attaquer systématiquement les navires espagnols et portugais au nom de la Liberté des mers, s’appuyant sur des corsaires à leur solde et parfois des forbans mercenaires . On estime à 200 ou 300 le nombre de galions espagnols coulés chargés d’or[2]. Possédant la plus grosse flotte, l’Angleterre va se définir comme le seul Roi des mers à la fin du 17e, se mettant à dos les autres royaumes, dont la France.

 

En Hollande, nouvelle puissance montante notamment sur les mers d’Asie, le juriste  Grotius va défendre à son tour la notion de liberté totale sur la Haute mer. Cette liberté se traduira par une suite de chasses et de combats navals. Là aussi de nombreuses épaves chargées de trésor gisent au fond des eaux des Mers de Chine tel celui de la Flor de la Mar.

 

C’est bien plus tard que les USA mettront tout le monde d’accord en devenant la première puissance maritime et ouvrant ainsi la route à la mondialisation. Mais les Etats Unis sont aujourd’hui talonnés par la Chine[3].  Le commerce mondial dépend du trafic maritime à hauteur de 90% : en limiter la liberté de façon substantielle n’est donc envisageable pour aucun État. Et pourtant la Chine bâtit les Nouvelles routes de la soie pour moitié sur les mers et compte en assurer la sécurité avec une flotte militaire aujourd’hui très proche de celle des USA.

 

 

4. Une liberté des mers qui se réduit d’année en année

 

Du temps de Grotius, il n’y avait ni produits toxiques et nucléaires, ni hydrocarbures, ni surpêche, ni surpopulation, ni stress environnemental de zones maritimes et littorales entières. À partir de 1954 les conférences et les accords vont se succéder pour aboutir à une convention mondiale  en 1982 (Montego Bay) qui précise l’ensemble des règles relatives à l’utilisation des espaces maritimes, c’est-à-dire « les étendues d’eau salée, en communication libre et naturelle » les droits et les devoirs des États dans ces espaces, notamment ceux de navigation et d'exploitation des ressources économiques, ainsi que ceux de la protection du milieu marin. Elle distingue trois zones .

 

A. La Zone économique exclusive source de tensions géopolitiques

 

Très contestée la Convention n’entrera en vigueur qu’en 1994. La plupart des pays l’ont signée, souvent ratifiée. Seuls les États-Unis et la Turquie l’on refusée. Il n’est donc pas étonnant que de nouvelles tensions se fassent jour notamment entre la Turquie et la Grèce pour l’exploitation des fonds marins de ce que l’on appelle la ZEE, Zone d’Économie Exclusive sous juridiction d’une seule nation, espace minimum de 200 miles marins : pêche, pétrole, gaz, passage des câbles sous-marins et oléoducs, éoliennes  sont au cœur des problèmes.

 

 

B. La Haute mer sous pavillon de complaisance

 

La haute mer commence au-delà de la limite extérieure de la ZEE et représente 64 % de la surface des océans. Le principe de la liberté y prévaut : liberté de navigation, de survol, de la pêche, de la recherche scientifique, de poser des câbles et des pipe-lines, de construire des îles artificielles. L’ordre juridique qui s’y applique est celui des autorités de l’État dont le navire bat le pavillon. Toutefois, comme 60 % de la flotte mondiale est sous pavillon de complaisance elle échappe de ce fait à certaines garanties de sécurité. La Haute mer reste donc le plus souvent un lieu de non-droit. Seule L'Union européenne a décidé d'intervenir dans ce domaine, notamment par l’Agence européenne pour la sécurité maritime qui régit les eaux communautaires.

 

Plusieurs conventions internationales dites « régionales » sont consacrées à la protection du milieu marin et des ressources marines. Une directive européenne précise que les États membres partageant une même région marine devront élaborer – en coopération étroite – des plans garantissant le « bon état écologique » de leurs eaux maritimes. Les conventions internationales se sont multipliées pour réglementer la pêche en haute mer, pour la protection d’espèces spécifiques (baleine, thon) ou même en 1995 à propos des stocks chevauchants (les ressources halieutiques qui sont à cheval sur la ZEE et sur la haute mer) et dans ce cas, vers une extension des compétences de l’État côtier.

 

 C. La zone internationale des fonds marins : le nouvel eldorado

 

La zone internationale des fonds marins (appelée la « Zone ») est constituée par les fonds marins et gérée par une « Autorité internationale des fonds marins »[1] qui délivre les titres miniers,  assure le contrôle de l’exploration et de la future exploitation et se charge de la protection de l’environnement marin et prévient  des dommages à la faune et à la flore.

 

Sous la pression des États-Unis, l’accord du 28 juillet 1994 a substantiellement remanié la partie XI de la convention en faveur de l’investissement privé, aux dépens de l'objectif initial plus altruiste du texte de 1982, qui visait une redistribution équitable de ces richesses à l’échelle planétaire. Huit États dont la France ont obtenu auprès de l'Autorité Internationale des Fonds Marins des contrats d'exploration dans la Zone. L’exploitation des nodules polymétalliques est le principal objet de cet accord.   Ainsi la zone de Clipperton, possession française du Pacifique est un des lieux très convoités.

 

Jean-Marie Quiesse - octobre 2020

 

Ecouter sur radio Uylenspiegel  -Mardi 20 octobre 2020 : La liberté des mers

Sources Wikipedia

 


[1] https://journals.openedition.org/vertigo/16169


[1] https://journals.openedition.org/vertigo/16169


[1] https://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_1997_act_7_1_960

[2] http://chezjirluin.canalblog.com/archives/2008/03/14/8324145.html

[3] On parle de 600 navires de guerre chinois contre 283 Américains, 120 français, 61 anglais). En tonnage trois pays sont équivalents : USA, Chine et Japon.


[1] Toujours d’actualité Indien, autour des détroits indonésiens (Malacca, Lombok, la Sonde) et au large de la Somalie

 

Henry de Monfreid le Loup des mers

 

« Toute mon œuvre, tant littéraire que picturale, fut écrite et peinte au jour le jour, sans autre prétention que de sauver de l’oubli ce que la solitude m’a permis de voir, de découvrir et de comprendre d’un monde affranchi des servitudes grégaires où m’a entraîné le démon de l’aventure ».

 

Henry de Monfreid naît au bord de la Méditerranée, à la Franqui, station balnéaire de Port Leucate le 14 novembre 1879. Enfant il assiste en pleine tempête au naufrage de la Marietta dont on trouve le lendemain la figure de proue. Cette belle femme souriante sera l’inspiratrice de son amour pour une mer qu’il fréquente très tôt sur les voiliers de son père.

 

Bien connu comme flibustier de la Corne de l’Afrique et capitaine aguerri aux courants agités de Bab El-Mandeb, la Porte des larmes, celui qu’on surnommera le Loup des mers deviendra une célébrité mondiale, sujet de films, séries, reportages, et même croqué par Hergé dans les Cigares du pharaon. 

 

« N’ayez jamais peur de la vie, n’ayez jamais peur de l’aventure, faites confiance au hasard, à la chance, à la destinée » disait-il. Excellent peintre, architecte naval, photographe, écrivain et conférencier adulé, marchand avisé et espion à l’occasion, Henry de Monfreid est surtout un grand marin épris de liberté.

 

 

Le goût de partir vient des toiles de Gauguin

 

Enfant Henry passe son temps dans l’atelier d’artiste de son père, ami de Verlaine, Degas, Matisse, Segalen et surtout très proche de Paul Gauguin : « J’aimais l’odeur et les couleurs des toiles de Gauguin arrivées de Tahiti... Ainsi s’éveilla en moi le souverain désir de partir à mon tour… » dira-t-il.

 

Après quelques années et divers métiers, il embarque sur l’Oxus en direction de Djibouti et, de là, prospecteur de café, il se mêle aux populations locales des montagnes du Tchertcher et acquiert toutes les ficelles du négoce qui lui serviront durant de longues années.

 

 

Le démon de l’aventure

 

Monfreid disait « j’ai toujours fui l’aventure, je l’ai toujours rencontrée sur ma route ». Et voilà pourtant que débute une longue aventure qui durera jusqu’en 1958, année où il faillit disparaitre en mer entre La Réunion et Madagascar.

 

En 1913, il épouse Armgart, achète son premier boutre le Fath-el-Rahman et part à la conquête de la mer Rouge et de l’océan Indien. Trafic d’armes, de haschisch et de perles. Devenu musulman il prend le nom d’Abb-Hel-Aî, l’esclave du vivant. C’est en 1916 que sa femme s’installe enfin avec lui à Obock. Très aimée des villageois, elle s’occupe de sa fille, de l’enfant à venir, de sa maison, des habitants qu’elle soigne, éduque. Cette femme lettrée parle allemand, français, arabe et somali. Elle restera auprès de lui jusqu’en 1938, l’accompagnant dans son aventure littéraire.  

 

Pendant plus de vingt ans, Monfreid passe dix mois de l’année avec l’équipage de son fidèle Abdi. Dès 1930, convaincu de la nocivité des drogues, il en arrête tout commerce. Il guide aussi Joseph Kessel dans un reportage destiné à dénoncer les trafics d’esclaves. Le journaliste l’incite à écrire et c’est ainsi que commence une grande amitié mais aussi la carrière littéraire de Montfreid. En 1931 sortent les Secrets de la mer Rouge. Expulsé d’Éthiopie par le Négus pour avoir mis en lumière ses pratiques esclavagistes dans « Vers les terres hostiles de l’Éthiopie » il s’installe à Paris et devient reporter, maniant articles et ouvrages. Correspondant de guerre pendant l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie il est autorisé, avec sa nouvelle compagne, Madeleine, à rejoindre sa propriété d’Arraoué dans les montagnes. En 1942 arrêté par les Anglais, il est déporté au Kenya. Il rejoint définitivement la France en 1947 et s’installe à Ingrandes, renouant avec la célébrité et les pipes d’opium souvent partagées avec Jean Cocteau.

 

 

De temps à autre il navigue en Méditerranée sur l’Obock, le boutre de 11 mètres construit par son fils Daniel. Comme je l’ai déjà dit sa dernière aventure en mer se fera en 1958, entre La Réunion et Madagascar. Il dérivera dix jours à bord d’un petit cotre tombé en panne de moteur. Henry de Monfreid décède le 13 décembre 1974 à 95 ans. Il laisse derrière lui plus de soixante ouvrages, des quantités d’articles, des centaines d’aquarelles.

 

 

Errance en mer Rouge : un bel hommage moderne à Monfreid

 

Un album magiquement illustré par Joël Allessandra, également auteur du scénario parait en 2014 sous le titre « Errance ». Il s’agit d’une belle histoire et d’un très bel hommage à Henry de Monfreid (dont le petit fils préface l’ouvrage), personnage omniprésent à travers les pages où le lecteur navigue sur le légendaire Fath El Rahman parmi les trafiquants et pirates modernes de cette Corne de l’Afrique, passage stratégique pour les 14 000 navires  qui transitent chaque année par le canal de Suez.

 

Jean-Marie Quiesse - avril 2022

Les bateaux ont-ils une âme ?

 

Jamais brûlés ou détruits, longtemps une sorte de superstition réduisait les bateaux à l’état de squelette au sein des cimetières marins. Ont-ils une âme ? Depuis l’antiquité, on les « baptise ». Les marins vous diront que chacun possède sa personnalité, même le yacht de série. Bref sont-ils vivants ? C’est possible : d’aucuns ont mauvais caractère, d’autres sont source de catastrophes à répétition comme le Great Eastern ou encore l’Aquidneck de Joshua Slocum. Certains, après leur naufrage, continuent à hanter les mers sous la forme de fantômes. On les appelle les derelicts, les abandonnés.

 

 

Les bateaux revenants

 

En 1891 le magnifique Wyer G. Sargent était sur le point de couler : deux ans plus après, il est signalé cinglant toutes voiles dehors. Le 17 septembre 1902, alors qu’il se rendait à Buenos Aires via le cap Horn, le Florence E. Edgett démâte. Abandonné par ses marins dans l’océan Pacifique, il réapparaît 10 ans plus tard dans la mer des Sargasses de l’Atlantique, après une errance de 20 000 km. Il a manœuvré seul pendant toutes ces années, d’un océan à l’autre. En 1903 le bateau-pilote irlandais de Queenstone remorqua un grand trois-mâts sans nom et sans équipage, chargé de billes d’acajou. Faute de propriétaire il fut vendu aux enchères. Remarquons que ces trois navires transportaient une cargaison de bois ce qui peut expliquer leur flottabilité.

 

Histoire plus macabre, le trois mâts carré Malbourough disparaît en 1890 aux alentours du cap Horn. En 1913, vingt-trois ans après, il revient au même endroit, toujours sous voiles. Mais les gréements sont verts et pourris tout comme le pont qui cède sous le poids de ses visiteurs. Un squelette tient la barre, dix autres sont encore attablés dans le poste d’équipage. Tout à bord est moisi. 

 

 

La vengeance de navires blessés

 

La preuve est faite qu’un navire blessé à mort par un autre trouve la force de se venger. C’est le cas du français Frigorifique harponné accidentellement par le Rumney anglais le 19 mars 1884. Des canots de sauvetage, les équipages assistent à un hallucinant spectacle : brutalement le Frigorifique mal en point sort de la brume. Il éperonne à son tour l’Anglais qui coule immédiatement. Rassurons nous les hommes ont pu regagner la côte. Une aventure proche est arrivée en 1933 à l’équipage du George Henry poursuivi à mort par l’épave du Rescue.

 

 

 

Le cimetière des vaisseaux perdus

 

Le Maurice K.Thurlow affiche vraiment la volonté de survie d’un navire. Poussé à la côte, ce grand quatre-mâts s’encastre dans les récifs. Lorsque les garde-côtes se présentent pour le dynamiter, il n’est plus là. Mais l’histoire n’est pas terminée. On le signale treize jours après, les voiles bien établies et un an plus tard, près de Terre Neuve. Il se montre ainsi régulièrement pendant quatre ans, échappe à six torpilleurs américains et disparaît définitivement. Peut-être cherchait-il le cimetière des vaisseaux perdus pour y reposer ?

 

 

On dit qu’il existe des cimetières d’épaves. En 1915, l’explorateur polaire Shackleton après la fin de son Endurance après un très long périple en barque atterrit en Georgie du Sud. Là il découvre un immense cimetière. « Pitoyables épaves, bas mâts et mâts de hune… carcasses de vaisseaux et squelettes de braves marins ».  Enfin, il existe des flottes de navires chasseurs de fantômes… Pardon, d’épaves errantes.

 

Ecouter Mardi 14 décembre 2021 : Les bateaux ont-ils une âme ?

 

 

Jean-Marie Quiesse 17 02 2022

 

 

Quand deux normands découvrent les Amériques

Si, en 1492 Christophe Colomb met le pied sur le continent américain, le Dieppois Jean Cousin deux ans auparavant avait, dit-on, déjà remonté l’estuaire du Saint-Laurent au Canada[1].

 

L’historien Pascal Lelièvre[i] déclare qu’à cette époque, « la commune d’Honfleur abrite des pêcheurs qui connaissent les routes de l’Atlantique Nord. » Honfleur est l’avant-port de Rouen. Son économie est florissante. Les armateurs disposent de cartes de l’Afrique et de l’Amérique du Sud. Leurs navires sont faits pour le commerce transocéanique.

 

La belle "Terre des perroquets"

 

Plus extraordinaire est le périple de Binot Paulmier de Gonneville qui quitte ce port pour les Indes, le 24 juin 1503 à bord de l’Espoir. L’Espoir emmène une belle cargaison : draps, toile, deux mille peignes, six cents miroirs, quatre mille instruments agricoles. Il descend le long des côtes africaines. Mais le pilote Colin Vasseur décède. Le voilier, entraîné par les vents et les courants rate le cap de Bonne Espérance et, le 6 janvier 1504, aborde un continent inconnu : apparemment le Brésil. Le roi, Arosca et ses sujets, personnes à la peau brune couverte de plumes, accueillent Binot et son équipage, leur offrent nourriture et eau et remettent le bateau en état. Le 3 juillet, le navire lève enfin l’ancre. À son bord, le fils d’Arosca, Essoméric, confié à ces Blancs venus de si loin.

 

De retour de cette « Terre des Perroquets », pourchassé par les pirates, l’Espoir s’échoue à Guernesey. Binot et quelques dizaines d’hommes regagnent Honfleur en compagnie du jeune Essomeric qui, dit-on, fera plus tard des ravages chez les belles Normandes. Ils racontent qu’ils reviennent « d’un pays paradisiaque où le soleil coule à flots en rayons cuivrés, où la végétation est vert émeraude et foisonnante ».

 

Le grand rêve des îles fortunées des mers Australes

 

En 1664, Jean Paulmier de Courtonne, descendant de Binot Paulmier de Gonneville, le « prêtre Indien », estime dans ses Mémoires touchant à l’établissement d’une mission chrétienne dans le troisième monde autrement appelé la Terre australe que son aïeul est allé au-delà du Cap de Bonne Espérance, découvrant un nouveau continent paradisiaque. En 1722, encore, François Coréal y court, persuadé de prouver la vérité du récit de Gonneville. Charles Bouvet en 1738, Marc André Marion Dufresne en 1772 et Kerguelen en 1771, chercheront cet eldorado. En 1847 est retrouvé, dans les archives de la marine, le fameux rapport original de naufrage que Gonneville avait remis aux autorités. Celui-ci donne le positionnement exact de son escale au Brésil. Rien à voir donc avec la légende des terres australes, mais une belle première pour la découverte du continent sud-américain.

 

Jean-Marie Quiesse octobre 2021

 


[1] Champlain installera officiellement le premier comptoir français en 1608 sur l’emplacement de Québec.

 


[i] Pascal Lelièvre – Honfleur, de Guillaume le conquérant à la Belle époque. La Lieutenance 1999

Frères de la côte - Pour Dieu et la Liberté

 

Les hommes qui sauront prêter une oreille attentive aux cris de : « Liberté, liberté, liberté » seront les citoyens d’honneur de Libertalia. 

 

Olivier Misson

 

« Liberté ! » fut le cri de ralliement de cette fraternité nommée Libertalia au XVIIe siècle par le forban Olivier Misson. Déjà les anciens esclaves vivaient librement à bord des navires pirates et lorsque qu’on leur demandait d’où ils venaient, ils répondaient « nous sommes les hommes de la mer ».

 

Dès 1625 les flibustiers s’installent à St Christophe, la Dominique et la Martinique, Tobago, Curaçao, la Jamaïque et la Barbade, tantôt pour leur nation, tantôt pour leur propre compte[1]. Tous vouent une haine féroce à l’Espagne qui a exterminé les Indiens. Ils se sentent investis de la mission de récupérer l’or et les richesses spoliées à ces populations[2] pour eux-mêmes, mais bientôt pour leur communauté. L’île de la Tortue devient une plaque tournante de la piraterie. Et c’est là que va se constituer dès 1630 une Fraternité libertaire, mais très organisée qui va durer quelques décennies.

 

Des communautés libertaires

En effet, des fraternités cosmopolites se forment : déserteurs, naufragés, persécutés pour leur religion, colons appauvris, engagés, renégats, esclaves en fuite et flibustiers fatigués de la course. Regroupés autour des valeurs de liberté sans contraintes, ces boucaniers se nomment Frères de la Côte. On connaît leurs mœurs par l’Honfleurais Olivier-François Exquemelin qui les fréquenta de très près, avant de devenir chirurgien sur le navire du pirate Henry Morgan.

 

Les hommes s’occupent de la chasse aux grands troupeaux de bovins et de porcs sauvages dont ils fument la viande très prisée par les équipages. D’autres sont pêcheurs ou planteurs de tabac. Beaucoup vivent de la contrebande et de la flibuste. En effet, ils savent très bien manier le fusil de quatre pieds de canon dont la poudre, de première qualité, venait de Cherbourg. Ces « fusils à giboyer » se chargent d’une manière exceptionnellement rapide pour l’époque et peuvent enchaîner trois coups pendant qu’un fusil militaire n’en fait qu’un. Les hommes accrochés en haut des mâts tirent avec une telle précision qu’ils suppriment à distance une bonne partie de la troupe adverse. Ainsi on évite l’abordage.

 

Ils vivent principalement dans l’île d’Hispaniola[3] peuplée surtout de Français de Dieppe, saint Malo, Brest ou Bayonne. Les nouveaux arrivants sont esclaves pendant trois ans avant d’être adoptés par la communauté exclusivement masculine. Ils se choisissent alors un compagnon et mettent leurs biens en commun. La vie est basée sur un système contractuel : votes fréquents et protection sociale. Durable, la Fraternité va jouer un rôle important dans l’histoire lorsque la France s’installe officiellement dans l’île en 1640.

 

Une redoutable organisation

En 1665 Bertrand d’Ogeron de la Boère, nommé gouverneur français de l’île fait venir des femmes pour garantir l’avenir de la colonie. Jusqu’à 1694 la Tortue reste une base essentielle pour les flibustiers qui créent aussi des communautés à travers la Caraïbe comme aux Bahamas près de Nassau.  On dit que la boisson y était une motivation plus importante que l’or, le travail se faisant souvent avec « un large bol de punch ». Un jour corsaire, un jour pirate, ils s’assurent la maîtrise des routes maritimes et menacent les ports.

 

Les républiques de pirates

Cette organisation démocratique va également servir de modèle à la République pirate de Salé au Maroc, à une possible « Désirade » créée par Jean Laffitte à Galveston[i], mais surtout à la célèbre Libertalia, colonie du nord de Madagascar fondée par le flibustier Olivier Misson et Carracioli, prêtre défroqué et mystique[ii]. La devise de cette république active de 1685 à 1697 était « Pro deo et libertate » (Pour Dieu et la liberté).

 

Ecouter - - Mardi 21 septembre 2021 : Frères de la Côte - Pour Dieu et la Liberté Frères de la Côte - Pour Dieu et la Liberté



[i] Jean-François Deniau – La Désirade – Olivier Orban, 1988

[ii] Alexandre Audard - une république des pirates à Madagascar – Hémisphères, Maisonneuve et Larose, 2020


[1] Les flibustiers français s’installent à St Christophe, conquièrent la Dominique et la Martinique et combattent tantôt pour leur nation tout comme les Hollandais à Tobago et Curaçao, et les Anglais en Jamaïque et Barbade.

[2] Ainsi Daniel Monbars dit l’Exterminateur, Bartholomeo le Portugais, Robert Brasileiro dit le Roc, hollandais, Pierre Legrand de Dieppe. Jean David Nau dit l’Olonnois, avec Michel le Basque, détruit Maracaibo : fort de 6 navires et 700 flibustiers il ravage les côtes et finit mangé par les cannibales « Ils le coupèrent en morceaux et le rôtirent » disent les chroniques.

[3]Appelée aussi Haîti ou Saint Domingue.


Kers Cuit - Tevennec le phare maudit

 Le Raz de Sein est un étroit passage maritime parcouru de puissants courants et jalonné de brisants, tout au bout de la Bretagne. En plus de celui de l’île, trois phares protègent la navigation : Ar Men considéré dans le langage des gardiens comme un « enfer », c’est-à-dire complètement isolé sur son rocher, est le plus éloigné du rivage. À 18 km du premier, la Vieille prolonge, lui aussi seul sur son caillou, la pointe du Raz : c’est la vigie de la fameuse baie des Trépassés.

 

Et voici Tevennec qui représente ce que l’on appelait un « purgatoire » puisqu’il s’agit d’une simple maisonnette appuyée sur une tour carrée, au cœur d’un tout petit terrain battu par les éléments. Une maison-phare, loin du luxe des grandes lanternes, mais bâtie dans un décor grandiose baigné d’une atmosphère de légende.

 

L’îlot maudit

Dès 1910 Tévennec fonctionnera sans gardien, et pour cause : aucun ne restait longtemps sur cet îlot La légende dit que certaines âmes auraient été abandonnées là lors d’un transfert vers le paradis celte d’Avalon. En effet, dès l’époque de la construction des voix surnaturelles clamaient le jour en breton « Kers cuit, kers cuit… Ama ma ma flag » (« Va-t’en, va-t’en, ici, c’est ma place), complainte reprise par le cri tournoyant des oiseaux de mer. Et la nuit était emplie de hurlements, de rires déments, de fantômes de vieillards et d’apparition de lueurs qui élevaient des croix[1], visions à faire se dresser les cheveux sur la tête.

 

Série macabre chez les gardiens

La lanterne est mise en route dès septembre 1874, le gardien du chantier de construction, Henry Porsmoguer devient fou, son successeur Jean-Marie Rohou démissionne rapidement. Le feu est allumé en 1975 et l’administration nomme des binômes. Mais cela n’empêche pas l’un d’eux, Alain Menou de sombrer dans la folie. Un certain Milliner y meurt sans que l’on puisse lui porter secours, Alexis Kerbiriou se sectionne l’artère fémorale avec son couteau, et se vide de son sang dans les bras de son compagnon. En 1898 on installe des couples et parfois des enfants. Mais leur vie isolée dans cet endroit battu par les tempêtes est émaillée de drames réels ou imaginaires comme celui du gardien trépassé qui aurait été mis au saloir par sa femme pour conserver le corps jusqu’à la relève suivante.

 

Il faut sauver Tévennec

Voici une dizaine d’années, des plongeurs ont découvert un tunnel sous-marin traversant le rocher. Par fortes marées, l’air s’en échappe par des failles, ce qui peut produire des sons extrêmement étranges et angoissants, des hululements sinistres.

 

Le bâtiment, laissé à l’abandon, est dans un état pitoyable. En 2011 la chanteuse bretonne Nolwenn Leroy pousse un cri d’alarme pour sauver le phare. Les médias suivront. Des travaux seront entrepris dans cet endroit très difficile d’accès. Dix ans après, malgré la signature d’une convention avec l’État, beaucoup reste à faire.

 

Jean-Marie Quiesse - Avril 2021

 

Ecouter - Mardi 1 juin 2021 : Tevennec le phare maudit

 

[1] Jean-Christophe Fichou, Noël Le Henaff, Xavier Mével - Phares. Histoire du balisage et de l'éclairage des côtes de France, Douarnenez, Éditions Le Chasse-Marée/Armen, 1999

Jeanne de Belleville - La tigresse bretonne

Les hommes de son équipage sont ébahis par tant de férocité, de détermination et de beauté.

 

Emile Péhant, célèbre poète romantique de Guérande, a dédié une chanson de Geste à Jeanne de Belleville,[i] corsaire par amour et fidèle à sa devise de femme libre « Pour ce qu’il me plaist »

La douce épouse se mue en tigresse

 

L’histoire de Jeanne de Belleville se déroule comme une tragédie grecque. Elle filait des jours heureux avec son mari Olivier de Clisson et gérait un vaste territoire du Sud Loire.

 

Mais voici la guerre de Cent Ans. Un conflit éclate avec l’Angleterre autour d’une affaire de succession concernant la Bretagne[1]. Olivier de Clisson est accusé de traîtrise[2] par le roi Philippe VI qui le fait décapiter le 2 août 1343. On renvoie la tête d’Olivier à Jeanne dont les terres sont annexées à la couronne.

 

La veuve jure alors de se venger. Quelques jours après, elle attaque ses premières victimes françaises, à Château Thébaud occupé par des nobles ralliés aux Valois. Tout le monde, dit-on, est passé au fil de l’épée : hommes, femmes, enfants, du soldat jusqu’à la nounou ou au boulanger. Pendant plusieurs semaines, Jeanne dévastera au moins six autres domaines aux environs.

 

La Lionne de Clisson travaille à la hache

 

Jeanne de Belleville s’embarque pour l’Angleterre. Devenue corsaire du roi, Édouard III, elle achète trois navires de guerre qu’elle peint en noir et affuble de voiles rouges. Son bâtiment amiral prend le nom de  Ma Vengeance o. Son équipage est formé d’hommes comptant parmi les plus sanguinaires de l’époque. De 1343 à 1356, la Tigresse de Bretagne écume la Manche, capture les bateaux du roi de France. Elle tue tous les militaires, fait couper mains et pieds aux marins, décapite les aristocrates à la hache, et ne laisse à chaque fois que deux survivants chargés de répandre la terreur en racontant l’horreur de ce qu’ils ont vu. On la surnomme alors la Tigresse bretonne.

 

Pendant treize années, on parle de cette « insaisissable guerrière ne craignant ni Dieu ni Diable, jupons retroussés dans la ceinture et glaive au poing, guettant à la poupe de son navire le moment d’aborder l’ennemi pour l’anéantir aux fonds des eaux. Les hommes de son équipage sont ébahis par tant de férocité, de détermination et de beauté ».

 

Fin de parcours

 

En 1345 la Vengeance est arraisonnée, mais Jeanne de Belleville s’enfuit avec ses deux fils dans une petite barque. Après six jours de dérive, ils atterrissent à Morlaix où la famille Montfort l’accueille. Malheureusement un des garçons est mort. Là, étonnamment, elle coulera des jours paisibles et se mariera avec le sire Walter Bentley, un noble anglais. Elle s’éteint en 1359, probablement en Angleterre.

 

Jean-Marie Quiesse - mai 2021

 

Ecouter - Mardi 9 mars 2021 : Jeanne de Belleville - La Lionne bretonne

 

[1] Guerre de Cent Ans (1337-1453)

[2] Il est soupçonné par le roi Philippe de pactiser avec les Anglais et de vouloir leur livrer la ville de Nantes. On lui reproche également d’avoir abandonné la maison de Blois pour le clan des Montfort.

[i] Emile Péhant – Jeanne de Belleville - https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6461119k/f19.item.texteImage

Kerguelen entre Eden et désolation

 

Rêve de Kerguelen

En 1907 deux jeunes frères de 20 ans rêvent d’îles lointaines et fortunées[1]. Non, il ne s’agit pas de contrées chaudes et verdoyantes mais des redoutables îles de la Désolation. Henry et Raymond Rallier du Baty, originaires de Lorient, se sentent irrésistiblement attirés vers le grand sud antarctique.

 

C’est sur un petit ketch de  21 mètres acheté à Boulogne, le JB Charcot, voilier sans moteur, que l’équipage de six membres va gagner les Kerguelen. Partis un vendredi 13 septembre 1917 ils vont passer un an et demi totalement isolés, pratiquant la chasse, la pêche et les relevés cartographiques. Ceux-ci sentent bon la Bretagne avec leur golfe du Morbihan, la baie d’Audierne mais également la péninsule Rallier du Baty, le tout à 13 000 kilomètres de la France. Les phoques, éléphants de mer, orques, baleines, ainsi que des milliers de manchots et d’albatros sont les principaux habitants de cette île.

 

Un Breton corsaire de Dunkerque

C’est la lecture de leur aventure qui m’amène à parler aujourd’hui d’un personnage, mi corsaire mi grand découvreur, mais un marin exceptionnel comme la mer a pu en produire vague après vague dans les périodes de Liberté des mers. Je veux parler de Joseph de Kerguelen de Tremarec qui a laissé son nom à cette terre française du bout du monde.

 

Ce personnage est lui aussi né en Bretagne, près de Quimper, en 1734. Après l’école des officiers de marine à Brest,  il commande une compagnie de troupes de marine (compagnie franche d'infanterie de vaisseaux) à Dunkerque et épouse en 1758 Marie Laurence de Bonte, une flamande fille d’armateur. Il quitte alors la Marine Royale pour écumer les mers comme corsaire sur un navire affrété par son beau père et devient également un excellent hydrographe. De Kerguelen réalise plusieurs coups d’éclats aux Antilles mais également à Lorient qu’il délivre du blocus anglais. Mais sa passion devient celle des mers froides, pour l’instant celles du Nord.

 

Des îles Fortunées à la désolation

A cette époque, on parle d’un continent austral qui pourrait être une nouvelle Amérique. Louis XV n’hésite pas. Deux navires partent à sa découverte sous le commandement de de Kerguelen. Ils atteignent dans les brumes et la tempête ce qu’ils pensent être ce fabuleux Eden. Les officiers, Boisguéhenneuc et Rosily parviennent à débarquer et prendre possession de cette terre désolée. Kerguelen se dépêche de rentrer à Versailles où il est reçu comme un nouveau Christophe Colomb, fier d’avoir découvert ce qu’il nomme les "Îles de la Fortune".

 

Il repart vite avec trois vaisseaux[2] chargés de futurs colons, de matériels divers et de pacotilles. Hélas tous découvrent la triste réalité, les îles de la Fortune sont bien des îles de la désolation. Pas de problème, Kerguelen fait route vers Madagascar où il aide un fier coquin, Beniowski, à devenir roi de l’île. Il troque là colons et marchandises avant de regagner la France où l’attend un procès et six années de forteresse pour escroquerie. On lui reprochera également d’avoir embarqué sa maîtresse déguisée en marin, Louise Seguin.

 

Puis il reprendra du service au grès des aléas politiques de l’époque et finira avec le grade de contre-amiral et sa réputation de « Phoenix des mers australes ». Son concurrent anglais, James Cook aura eu le fairplay de renommer les îles de la désolation en îles Kerguelen.  Les îles Kerguelen et leur ZEE présentent aujourd’hui une immense zone maritime économique d’importance.

 

- Mardi 4 mai 2021 : les Kerguelen entre Eden et désolati

Jean-Marie Quiesse – Avril 2021 -

 

Ecouter : Mardi 4 mai 2021 : les Kerguelen entre Eden et désolation

 


[1]Raymond Rallier du Baty - Aventures aux Kerguelen –Editions maritimes, 1991

[2] Le Rolland, l’Oiseau, la Dauphine

 

Costa Concordia - Pari risqué pour le palace flottant

Les vendredi sont des jours que les marins considéraient comme funestes. Pire pour les 13èmes ! Ce vendredi 13 janvier 2012 le Costa Concordia vogue en direction de Savone vers le Nord. 4 229 personnes sont à son bord dont 3200 vacanciers. L’une déclare «  On n’a pas l’impression d’être sur l’eau, c’est un palace ».  Un palace flottant haut comme un immeuble de vingt étages et long comme trois stades de football.

 

Ce soir là le commandant Francesco Schettino termine son dîner au restaurant Milano. Un passager Suisse dira que l’on diffusait la musique du film Titanic. A 21h30 il regagne la passerelle et salue au passage Jessica et Olivier un couple de Français. Il dit avoir une manœuvre difficile à effectuer. En effet, le paquebot a changé sa route et se rapproche  de l'île de Giglio pour y effectuer l’inquino la révérence à l’île du maître-serveur Antonnello Tievolli.

 

21h34 Francesco Schettino prend le commandement et passe en pilotage manuel. Le navire s’écarte alors de son cap initial. L’officier chargé de la navigation est perdu depuis l’extinction volontaire du pilote automatique et le paquebot dérive de la route prévue. 

21h 44 min 45s : Schettino donne des ordres au timonier : il vire à tribord au lieu de babord. L’erreur est rectifiée après 13 secondes. Mais c’est trop tard. Le paquebot est  à 150 mètres  du Scole, un dangereux écueil.  Sous l’effet de l’inertie, l’arrière ne suit pas.

 

Avec une déchirure de 70 mètres tout reste sous contrôle !

 

21h45 minutes 10 secondes, à 300 mètres de l’île, c’est l’impact. Jessica, sortie fumer une cigarette, manque de passer par-dessus la rambarde.  Au théâtre on donne  un spectacle de magie. Un passager Français témoigne avoir vu le rideau de scène s’incliner de 35 degrés tandis que le fauteuil de sa femme se mettait à glisser. Patrick et Nathalie Crouzet, un couple avec leurs deux garçons disent : « les lumières ne se sont éteintes que quelques secondes. Nous avons entendu une annonce du commandant : « N’ayez crainte, la situation est sous contrôle ». Dans les restaurants du bateau, les couverts et assiettes tombent. C’est un début de panique.

 

Le navire freine fortement. Francesco Schettino tente une manœuvre désespérée et vire pour échouer le paquebot à la côte. Il était temps car à 21h 46 c’est le black out total. Brutalement les commandes ne répondent plus.  Le Costa Concordia commence à giter sur babord. La salle des machines est inondée, les moteurs hors d’usage. Le générateur de secours du pont 11, ne peut à lui seul pallier l'arrêt de la centrale électrique du navire.

 

La machine déclare « ici tout fout le camp ! Deux compartiments noyés » Hélas, trois autres le sont aussi. Le paquebot est condamné. Le personnel endosse ses gilets de sauvetage rouges. On conseille aux passagers de regagner les cabines plongées dans le noir. Certains obéissent et partent récupérer quelques affaires à la lumière de leur smartphone, enfilent leurs brassières et regagnent le pont.

 

Confusion totale et panique grandissante

 

22h 06 Une passagère prend son téléphone et appelle un poste de carabiniers près de Florence, pour signaler la panne. La capitainerie du port de Livourne contacte alors le commandant du Costa Concordia : un officier du bord répond qu'il s'agit d'une simple coupure de courant..

 

22h 35 Le navire dérive lentement, safrans bloqués. Le gîte passe à tribord.

22h 54. C’est l’échouage. « Tango India live boat »émettent les hauts parleur, message à destination de l'équipage. La sirène égrène alors sans se lasser ses sinistres notes d’évacuation : sept brèves, une longue. Mais, faute dénergie, la plupart des moteurs de descentes des chaloupes de sauvetage ne fonctionnent plus. On ne sait comment faire marcher les grues : les canots frappent contre la coque avec leurs 150 passagers, certains se renversent où frappent brutalement les flots.  Des gens affolés sautent sur le toit des chaloupes,  d’autre directement dans la mer.

 

 

J’ai expliqué aux garçons que, là, ce n’étais plus un film, que c’était la vraie vie

 

Patrick raconte : "La sirène d’évacuation a résonné et la panique a commencé. Tout le monde a voulu monter dans les chaloupes. Le navire gîtait à 40 degrés environ, le pont était glissant. Les gens poussaient et se battaient, j’ai préféré rester en arrière. C’était la loi du plus fort, le chacun pour soi." Les passagers organisent une chaine humaine et, se tenant par la main réussissent à traverser pour atteindre le côté tribord, celui qui s’enfonce dans la mer. « Nous avions les pieds dans l’eau, il y avait au-dessus de nous l’énorme masse menaçante du navire… Nos deux petits garçons sont restés stoïques. Je voyais l’eau qui montait très vite, les gens poussaient fort. J’ai pensé : « Il faut faire quelque chose. » J’ai expliqué aux garçons que, là, ce n’étais plus un film, que c’était la vraie vie. Je leur ai dit : « Vous savez nager, on va y aller, tout droit jusqu’à la côte. » … et nous sommes partis à la brasse. D’un coup, toutes les lumières se sont éteintes. Autour de nous brillaient les diodes de centaines de gilets de sauvetage. Nous avons parcouru 150 mètres, en quinze minutes environ, avant de toucher la terre ferme. ».

 

Je n'ai trouvé aucun officier à bord, pas seulement le capitaine mais aucun officier

 

Mario Pellegrini maire adjoint de l’île qui s’était rendu sur le paquebot dira : Je n'ai trouvé aucun officier à bord, pas seulement le capitaine mais aucun officier.

 

00h30 : mais où est donc passé le commandant ? Celui-ci décroche son téléphone depuis l'îlot où il s'est réfugié. C’est la capitainerie : « Remontez à bord, put... ! » lui ordonne-t’on. Mais il est définitivement parti. Sa compagne déclarera à la presse qu’en pleine tourmente il n’avait qu’une idée celle de quitter le navire. Cette allégation n’a  été ni confirmée ni infirmée au procés. Mais il a réellement abandonné le navire en perdition avec une partie des officiers.

 

Mario Pellegrini organisera l’évacuation jusqu’à l’aube où une dernière personne sera sortie de sa cabine avec une jambe brisée. 30 heures après le naufrage un jeune couple de coréens sera évacué de la cabine d’où ils ne pouvaient sortir. Mais deux Français, Mylène Litzler et Mickaël Blémand, après un dernier SMS expédié à la famille, ne reviendront jamais et font partie des 32 victimes.

 

Le commandant a été condamné à 16 ans de prison, peine qu’il purge depuis 2016.

 

Jean-Marie Quiesse mars 2021

 

Ecouter  : Mardi 24 mars 2021 : Vendredi 13, le Costa Concordia perd son capitaine

 

Monsieur Jean Barret - Première femme autour du monde

Ce voyage avait piqué sa curiosité… j’admire sa résolution (de Bougainville)

 

Curieuse, ailleurs et autrement, telle est l’histoire de Jean Barret, (1740 – 1807) dite « Bonnefoy », à l’époque où les femmes étaient bannies de la Marine royale. C’est en effet la première Française à avoir fait le tour du monde en 1750.

 

Déguisée en homme, elle embarque comme valet de chambre du médecin naturaliste Philibert Commerson, sur l’Étoile, un des navires de Bougainville. Rapidement des rumeurs circulent à bord sur cette personne « de petite taille, courte et grosse, de larges fesses, une poitrine élevée, une petite tête ronde, un visage garni de rousseur, une voix tendre et claire, une adroite et délicatesse… »[1]

 

Changement d’habits

 

C’est à Tahiti (ou en Papouasie) que les autochtones s’aperçoivent du subterfuge. M. de Commerson y descendit pour herboriser, à peine Baré qui le suivait avec les cahiers sous son bras, eut mis pied à terre, que les Tahitiens l’entourent, crient que c’est une femme, & veulent lui faire les honneurs de l’île. Le Chevalier de Bournand, qui était de garde à terre, fut obligé de venir à son secours, & de l’escorter jusqu’au bateau.[i]

 

Jean se transforme alors en Jeanne. Bougainville dira : elle savait qu’en embarquant, il était question de faire le tour du monde, et ce voyage avait piqué sa curiosité. Elle sera la seule de son sexe et j’admire sa résolution, d’autant qu’elle s’est toujours conduite avec la plus scrupuleuse sagesse. La Cour, je crois, lui pardonnera l’infraction aux ordonnances. L’exemple ne saurait être contagieux. Elle quitte l’expédition avec son compagnon le 8 novembre 1768 à l’île de France (Maurice). Ils sont reçus par leur ami gouverneur et botaniste Pierre Poivre[2]. Hélas, Commerson décède tandis que Poivre regagne la France. Maillart du Mesle, Intendant de l’île envoie les collections au ministère de la Marine.

 

 

L’aventure mauricienne

 

À cette époque Port Louis est une ville aux nuits chaudes. On y comptera jusqu’à 125 débits de boissons où l’on sert Liqueurs, eau de vie, limonade, thé, café, chocolat, vin du Cap, et le fameux punch. Jeanne, privée de ressources, ouvre un « cabaret-billard » avec son mari Jean Duberna. Le nouveau couple rentre en France en 1775 où Jeanne Barret boucle son tour du monde et reçoit sa part d’héritage ainsi qu’une pension du Roi en reconnaissance de son travail d’aide-botaniste.

 

 

Une fleur pour Jeanne

 

Douée en botanique, la légende dit qu’elle aurait elle-même découvert à Rio de Janeiro cette » plante admirable aux larges fleurs d’un violet somptueux », baptisée le Bougainvillier que Commerson par reconnaissance à sa maîtresse lui avait dédié : Cette plante aux atours ou au feuillage ainsi trompeurs, est dédiée à la vaillante jeune femme qui, prenant l’habit et le tempérament d’un homme, eut la curiosité et l’audace de parcourir le monde entier, par terre et par mer… Elle sera la première femme à avoir fait le tour de monde complet du globe terrestre, en ayant parcouru plus de quinze mille lieues.[ii]

 

Le nom de Jeanne Barret a été donné à l’école maternelle de Murviel les Montpellier (34)

 

Jean-Marie Quiesse - mars 2021

 

Ecouter sur Radiouylenspiegel par JM Quiesse (Heure Maritime)

 

Lire Jeanne Barret, l'aventurière de l'Etoile - Tallandier, 2020


[1] François Vivès, chirurgien major

[2] Commerson habitera ensuite rue ancienne des Pamplemousses

 


[i] Louis Antoine de Bougainville – Voyage autour du monde – 1766,1769

[ii] Commerson - Bibliothèque du Muséum National ref : MS 198, YL.51

 

La plaisance entre course-croisière et course au large

 

Je m’suis cogné partout
J’ai dormi dans des draps mouillés
Ça m’a coûté ses sous
C’est d’la plaisance, c’est le pied !
(Renaud, Dès que le vent soufflera)

 

 

D’abord quelque pensées 2020-21 pour les nouvelles et nouveaux héros de la Plaisance française. Les concurrents du Vendée globe, particulièrement Jean Le Cam, grand coureur au large, le vainqueur Yannick Bestaven et la première femme à l'arrivée Clarisse Crémer. Une autre pour Fanchette Le Neuthiec une des premières skippers à avoir constitué des équipages féminins sur ses Karukera et Iriook. Enfin, la voile se voulant le sport de tous les défis et sans préjugés, je rends hommage à Joël Paris le patron malvoyant du « Rêve à perte de vue » qui avec son équipe de filles comme Cécile Poujol et de garçons comme François Xavier Adloff a réussi son Marseille Carthage en 84 heures et souhaite maintenant poursuivre vers les 50emes Rugissants. Ces marins sont un signe de bonne santé de la Plaisance contemporaine, elle-même fruit d’une belle histoire qui mêle étroitement rêves et inventions.

 

 

À l’origine de la Plaisance moderne : régates, courses-croisières et casquette blanche

 

Il y a très longtemps, en Grèce existaient des courses de trirèmes qui viraient autour d’une bouée. Plus tard, le Romain Rutilius nous conta en détail sa promenade touristique maritime entre Rome et la Gaule. Le terme de régate apparaît à Venise au15èm siècle. On ne parle pas encore de croisière, mais en 1528, le néerlandais « yatch » désigne un voilier rapide. En France il se prononcera « iac ». Déjà présente en Angleterre, aux USA (America 1857) la pratique du yachting atteint la France en 1838, année de la fondation des Régates internationales du Havre. Le yacht étant défini comme bâtiment de plaisance on peut-dire que la plaisance moderne est née avec les régates. Mais, pour de belles « courses croisières », il fallait de beaux bateaux.

 

En 1847, un amateur Havrais, fait venir d'Amérique une embarcation devenue historique, La Margot. Elle différait entièrement de tout ce qui s'était vu jusqu'alors en Europe.  Très peu lestée, elle portait une voilure démesurée, marchait très vite et évoluait sans difficulté. Ce type de navire servira de modèle à plusieurs générations de voiliers « de promenade »,  mais aussi à de grands cotres de course comme l’Ailée de Virginie Hériot, Britannia du prince de Galle, Shamrock de sir Thomas Lipton. La casquette avec visière y symbolise l’autorité du chef de bord et de famille.

 

Une anecdote montre la filiation entre la course d’hier et celle d’aujourd’hui. Un voilier de cette époque, le célèbre Yum construit en 1898, prendra le nom de Penn Duick en 1935 et deviendra le bateau d’Eric Tabarly en 1952, faisant de ce marin le lien vivant entre deux époques de la voile.

 

Démocratisation de la plaisance et course au large : cirés et combinaisons de couleurs

 

1947 Hélène et Philippe Viannay fondent l’école des Glénans. La nouvelle génération d’équipages mixtes souhaite rompre avec l’époque des yatchmen. Finie la casquette blanche, la mode est au ciré et à la marinière. La plaisance populaire se développe, se massifie, mais, tout en se voulant héritière de la pêche, reste surtout cantonnée aux classes moyennes et supérieures.

 

Certes Josua Slocum, Alain Gerbault (1923), Vito-Dumas (1942), Jean Yves le Toumelin (1949) personnifiaient déjà l’aventure individuelle, mais, navigateurs « traditionnels » sur leurs Ketchs, et bien que très compétents, ils ne se voulurent pas plus des compétiteurs que le petit équipage du Béligou autour du monde en 1966. Mais, dès 1964, naît le phénomène Tabarly. Sa victoire dans la Transat anglaise fait de cet homme l’archétype du marin libre qui affronte seul les éléments, mais surtout marque le départ d’une nouvelle ère, celle des « coureurs » embarqués sur des voiliers surpuissants et dans une trajectoire médiatique qui va créer une autre mode habillée de la combinaison de couleur des pilotes de formule I.

 

Le Centre nautique de Kerleven Port la forêt (Finisterre) les forme depuis 1990. La course au large remplace la course-croisière des années 1920. Elle fait rêver les plaisanciers dont la pratique de la navigation an famille ou entre amis représente 90% de l’activité. Des « voileux » ou des coureurs, qui sont les « vrais » marins ? Lou Volt, habille en chanson ces nouveaux marins d’un jour !

 

Aux architectes des années 1900 comme l’Américain W. Gardner avec le très voilé Star (1911), succèdent après 1920 ceux qui vont démocratiser la régate de plaisance, tels le Norvégien J. Anker avec le Dragon (1929), l’Irlandais G.L. Stenback père du Requin, et le Norvégien W.A. Crosby celui du Snipe (1935). Après la seconde guerre, l’Américain C. Mills dessine le célèbre Optimist (1947), En France, Eugène Cornu est le père du croiseur Bélouga (1944). Son contemporain, Jean Jacques Herbulot est à l’origine de plus de 60 plans de voiliers dont le Mousquetaire, le Corsaire (1954), le Vaurien (1957), le Maraudeur (1958). En 1957 également, K. Olsen, Danois, dessine le Yole OK, sportif Kate boat. Plus près de nous, Maurice et Pierre Edel inventent le voilier habitable en polyester (1961) et Philippe Harlé le Muscadet, le Sangria (1963) puis le Romanée (1972). Le Moth (dériveur) se répand en Europe ainsi que le Fireball (1963) et, créé en France par M Nivelt et M Gourmez, le très populaire Zef (1962). Dans la même catégorie, André Cornu élabore le 470. Michel Dufour sort le Sylphe (1960) et fait de l’Arpège (1967), un vrai croiseur de course. L’Américain H. Alter révolutionne la glisse avec le Hobie Cat (1967) en fibre de verre et J.H. Linge le puissant quillard Soling. M. Finot sort un sloup de croisière, l’Ecume de mer en 1970 et l’Océanis (1997). André Mauric sera architecte du Ketch en aluminium Penn Duick 6 (1973) et du très connu First (1978).

 

La Plaisance en France aujourd’hui

 

Après l'apparition du polyester, des enrouleurs et de l'électronique embarquée, la grande révolution  d'aujourd'hui réside sans doute l’hydroptère (Foil en anglais). Inspirés des modèles motorisés, il s’agit de voiliers ou de planches à voile glissant sur des patins. Cette conception déjà ancienne (Monitor (1956) et Véliplane) a été améliorée au fur et à mesure du progrès des matériaux. En France Tabarly fut l’un des précurseurs de ces types de propulsion sur le Trimaran Paul Ricard. En 2009, l’Hydroptère de A Thébault battra le record de voile à 51,36 nœuds. Depuis on sait la place prise par ce genre de machine. Il avait fallu 36 jours à Christophe Colomb pour traverser l'Atlantique là où les voiliers de  course de 2021 en mettent un peu plus de quinze.

 

La Plaisance en France ce sont plus d’un million d’immatriculations de navires, dont 80% naviguent au moteur et 13 millions de plaisanciers. On recense près de 300 000 capacités portuaires spécifiques, 8500 kilomètres de voies navigables. Le Pays est le second constructeur mondial de bateaux de plaisance, compte 5000 entreprises et emploie 50000 salariés.

 

On est loin du temps de la Marie Joseph et des premiers croiseurs au confort spartiate des Glénans comme le Banalec et le Brunec d’Herbulot. Les Glénans est aujourd’hui la plus importante école de voile et de glisse nautique d’Europe. Elle a su s’adapter aux besoins contemporains tout en gardant son esprit d’origine. Dans les ports et les marinas, tous les anneaux ne sont pas occupés par des « bateaux caravane ». De très nombreux plaisanciers sont à leur manière de vrais professionnels de la mer et j’en ai rencontré sous de nombreuses latitudes, libres, compétents et maître à bord. Et comme la Plaisance ne se limite pas à la navigation, les loisirs nautiques et leur aspect sportif ont également un bel avenir devant eux.

 

Jean-Marie Quiesse - janvier 2020

 

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La Boudeuse et l'histoire des vieux gréements

 

 

Les vieux gréements témoins de leur temps

 

Faire revivre les vieux gréements est une intention poétique, esthétique et humaine. Ainsi des courses leur sont spécifiquement réservées comme les Tall Ships’Races, rappels de celle du Thé en 1866,  mais aussi d’importantes manifestations nautiques que les auditeurs connaissent bien : rassemblement de voiliers, festival de chansons de marins... Olivier Rech leur en a dédié une  agrémentée de très belles photographies.

 

 

Souvent des artistes ou amateurs de chansons de marins en sont les instigateurs comme Pascal Servain dit « Gromor » à Fécamp, où des fanatiques de la voile comme Jacky Chevalier aux Sables-d’Olonne, mais encore le Chasse-marée qui, en sus de sa mission de mise en valeur du patrimoine architectural naval,  a créé le fameux Trophée de chanson « Capitaine Hayet », sans oublier la Fédération Régionale pour la Culture et le Patrimoine Maritimes (FRCPM) dont celle de Flandres qui à, elle seule, regroupe plus de 40 associations dont huit musées et huit ensembles musicaux.

 

 

Des bateaux meurent, d’autres naissent

 

L’image des vieilles coques  et de leurs cimetières à l’exemple de Port Rhu à Douarnenez, Diben à Morlaix, Rostellec (Crozon), le Sillon à Camaret possède un charme indéfinissable. Parfum d’antan.  Il est vrai que mis à part celui de la marine Nationale à Landevennec, ils concernent le plus souvent des navires en bois avec leurs étranges squelettes. Les bateaux meurent, d’autres naissent. Connaissez-vous le magnifique roman de Paolo Bacigalupi, les Ferrailleurs de la mer ?

 

 

Des nefs de peau cousue de saint Brandan aux clippers en passant par l’invention des premières membrures, l’histoire des navires s’adapte aux temps et aux lieux : types de navigation, cargaisons, ressources économiques locales, régimes des vents dominants. Ils s’améliorent au fur et à mesure des avancées technologiques. Certaines dates clefs jalonnent les sauts de l’histoire de la vie maritime. Ainsi 1869. L’ouverture du canal de Suez inaugure l’époque des vapeurs et la fin des voiliers. Pourtant, le 18 juin 1872, Thermopylae et Cutty Sark quittent côte à côte Shanghai pour une dernière course du thé. Cutty Sark a jeté l’ancre à Londres pour toujours.

 

Malgré un avenir sombre, la construction de ces grands voiliers est soutenue par les subventions de l’État français de 1881 à 1893. Les chantiers nantais tournent à plein notamment pour la compagnie Borde.  

 

C’est pourquoi, en France, le canal de la Martinière se transforme en 1911 en un tableau mélancolique où s’alignent les trois et quatre-mâts stockés là afin d’être désarmés. Ce cimetière marin accueille entre 1921 et 1927 plus de 200 voiliers, dont certains, tout neufs. De cette période le Belém (1896)  a tiré honorablement son épingle du jeu ainsi que le Laennec (1902) qui se repose dans un musée de Finlande sous le nom de Suomen Joutsen . Sur ce thème le groupe Rives chante "le temps qui passe".

 

 

Le temps des répliques et de la mémoire

 

Dans le monde on recense aujourd’hui une centaine de trois-mâts carrés, mais aussi des bricks, des goélettes et un nombre incroyable d’autres navires, de la yole au thonier, classés ou non, d’origine où leur réplique comme  la  Recouvrance, l'Hermione. Le vaisseau de première ligne Jean Bart est, lui, en construction à Gravelines. Le Bel Espoir (goélette de 1944) a fait les beaux jours des vieux gréements dans les années 1970 et il ressortira à neuf du chantier de l'Aber Wrac'h dans quelque temps.

 

 

Au-delà de l'enjeu économique, c'est l'histoire humaine qui fascine : les marins français de la voile étaient de vrais professionnels aux savoir-faire reconnus.  De 1848 à 1920, souvent au péril de leurs équipages, les voiliers de trois, quatre ou même cinq mâts, en bois puis en fer et en acier, ont parcouru toutes les mers du monde avec dans leurs cales charbon, nitrate, grain, etc.

 

 

L’âge des festivals et des rassemblements

 

Entre 1950 et 1970, la France vit une nouvelle mutation de sa flotte traditionnelle et ce phénomène suscite une première mobilisation. Dès 1982 ont lieu les premiers rassemblements : en rade de Brest, à Logonna Daoulas, en 1986 les Voiles de la liberté à Rouen, enfin Douarnenez en 1982. Orléans crée le Festival de Loire en 2003, le plus grand évènement européen de la marine fluviale.

 

1989 a également vu la naissance du Festival du chant de marin à Paimpol, et chez nos cousins du Québec celui Saint Jean Port Joli en 1998. Impossible aujourd’hui de les citer tous en dehors de la cinquantaine officielle présente sur le globe. D’autres sont au musée comme la Duchesse Anne à Dunkerque. La France a du retard à rattraper en termes de grands navires à voiles. L’exemple qui suit en est l’illustration.

 

 

Les nouvelles aventures de la Boudeuse

 

Certes de grands voiliers d’origine sont aujourd’hui des bateaux-écoles. Mais je voudrais m’arrêter un instant sur l’aventure exceptionnelle d’un homme et d’un bateau.  Patrice Franceschi est écrivain de marine. C’est un véritable  amoureux des voyages et surtout un professionnel de la mer. Après sa première jonque déjà nommée « la Boudeuse » coulée en mars 2001, il acquiert un authentique trois-mâts goélette hollandais.

 

Après de nombreux périples face à  une administration française qui ne sait comment faire avec un voilier de plus de 25 mètres et lui attribuer le pavillon français,  suivra enfin le baptême en 2004. C’est alors un premier tour du monde à la recherche des Peuples de l’eau, avec notamment une expédition en Amazonie en souvenir de La Pérouse, le faible tirant d’eau du navire permettant de remonter le fleuve. Il faut gérer à la main 4 kilomètres de cordages, 700 mètres carrés de toile et parcourir 80 000 kilomètres avec 18 hommes d’équipage, Christine Chevrier commissaire du bord, sous l’autorité du capitaine Franceschi. Ils trouveront écrit-il, une sensation de totale plénitude, une adéquation entre ce que l’on fait et ce que l’on pense.

 

Depuis la Boudeuse a fait bien du chemin sur les Océans, de nombreuses missions pour promouvoir une économie humaniste et préserver les environnements. Elle est à quai au Havre en attendant une reprise de ses activités.

 

Jean-Marie Quiesse novembre 2020

Ecouter la rubrique radio :  Les vieux gréements, témoins du temps qui passe

 

Les Orques attaquent en Méditerranée

On connaissait le sort de l'Essex coulé par un cachalot où celui de la Lucette des Robertson éventré dans le Pacifique. Cette année 2020 ce sont les orques de Méditerranée,  au large des côtes portugaises et espagnoles, qui ont agressé plusieurs  navires en septembre. Coups d'épaule sur la coque, dégâts aux safrans : les scientifiques se penchent sur ce problème. 

 

https://voilesetvoiliers.ouest-france.fr/securite-en-mer/videos-des-voiliers-attaques-par-des-orques-un-scientifique-explique-pourquoi-ae02a69e-f730-11ea-ab0b-dcd796813d17

Le chalutier géant fait polémique

81 mètres de long, 17 mètres de largeur et un énorme chalut , le Scombrus est capable de pêcher 200 tonnes de poisson en une nuit. Son baptême à Concarneau le 25 septembre 2020 a fait polémique.

Goélette Bielle -1590 litres de rhum au fond de l'eau

L'aventure de la goélette Bielle a pris fin juste après le départ de celle-ci de Marie Galante le 19 juin 2020. Ses 1590 litres de rhum d'exception qui devaient rejoindre Marseille gisent au fond de l'eau à la Pointe des Châteaux. Amateurs de rhum, bonne chasse au tonnelets ! Il y en a 62. Bonne nouvelle l'équipage est sauf.

La pétole tragique de l'année 56

La pétole marine

 

« Naviguer, ça n’est pas seulement courir ou marcher, c’est bien aussi rester en place. Cela vient quelquefois pour notre malheur, vous le savez tous, car il n’est pas de plus terrible ennemi des gens de mer que le grand calme. À tout ce qui vient du ciel ou de la vague, il y a quelque chose à répondre n’est-ce pas ? Mais rien à dire au milieu de l’air immobile, surtout quand cela dure», écrit Albert t’Sersteven[1], grand marin et talentueux écrivain de la mer.  On a beau siffler le vent, frotter la barre avec un front de cocu, rien n’y fait. C’est la pétole.

 

Les Vénètes rois de la mer et du commerce mondial

Voici l’exemple d’une pétole qui a changé le cours de l’histoire de la Bretagne. Dès l’année 54, Jules César faisait une première incursion en Angleterre (Bretagne) dans le Kent. Mais avant d’aller plus loin, il fallait  conquérir l’Ouest de la Gaule et surtout les riches tenants des routes maritimes, les terribles Vénètes.

 

Les Vénètes possèdent des comptoirs dans toute la méditerranée et sur le fronton océanique. Ils seraient à l’origine de Venise. Ils commercent activement avec l’Angleterre depuis l’époque grecque.  En Gaule, ils contrôlent les estuaires des principales rivières armoricaines du sud (la Vilaine et le Blavet en particulier).  Vannes (Darioritum, puis Gwenned en Breton) est, à l'époque gallo-romaine, la capitale du peuple Vénète, mais il est possible qu'à l'origine ce soit Locmariaquer qui ait joué ce rôle.

 

Ils détiennent le monopole du commerce en particulier des métaux comme l’étain, le plomb, le cuivre, le fer dont ils sont les maîtres forgerons incontestés[2] mais aussi des denrées alimentaires comme le blé, le sel, le vin et l’huile d’Italie, et les très appréciées charcuteries bretonnes. Jules César dit d’eux que «  ce peuple est de beaucoup le plus puissant de toute cette côte maritime : c’est lui qui possède le plus grand nombre de navires […] ; il est supérieur aux autres par sa science et son expérience de la navigation ; enfin comme la mer est violente et bat librement une côte où il n’y a que quelques ports, dont ils sont les maîtres, presque tous ceux qui naviguent habituellement dans ces eaux sont leurs tributaires. »[3]

 

 

La révolte contre l’envahisseur romain

Lorsque César exige que les Bretons de Gaule nourrissent ses troupes, les Vénètes refusent. Ils prennent en otage des officiers, coulent allègrement les navires romains au large de Quiberon, st Gildas de Rhuys, Houat, Hoédic, la Trinité sur mer. Ils connaissent tous les secrets de la côte. Leurs bateaux  de chêne (dont le sinagot est le descendant) sont en effet assez robustes pour résister à l’éperonnage mais aussi plus haut que les trirèmes et échappent ainsi aux jets de flèches. « Si le vent vient à s'élever, ils s'y abandonnent avec moins de périls et ne redoutent ni la tempête, ni les bas-fonds, ni, dans le reflux, les pointes et les rochers »

 

 

La riposte de Jules César

Rome n’a pas de marine. Alors César  ordonne de construire des galères sur la Loire par les Pictons, collaborateurs ennemis des Vénètes, de lever des rameurs dans la Province, de rassembler des matelots et des pilotes. Dès l’été 56, il regroupe au large du Golfe du Morbihan dans la baie de Quiberon, une puissante escadre commandée par Decimus Brutus.

 

 

La tragique pétole

L’armée  romaine assiste au spectacle depuis les hauteurs d'alentour. 220 vaisseaux vénètes font face à la flotte romaine. Commencée vers 10 heures  du matin au mois d’août, la bataille tourne rapidement en faveur des Vénètes malgré l’utilisation de faux géantes qui coupent les vergues des navires gaulois et font affaler les voilures.

 

Brutalement le vent s’arrête de souffler. C’est la pétole tragique.  Les galères romaines pourvues de rameurs encerclent les voiliers immobilisés et passent à l’abordage. C’est la fin. Les chefs Bretons seront exécutés ainsi que les membres du Sénat, 220 navires coulés et les équipages réduits en esclavage ainsi que la noblesse bretonne.

 

Il faudra un siècle pour pacifier totalement la Bretagne, les populations offrant de très nombreuses résistances. Beaucoup de Bretons rejoindront l’île de Bretagne où ils continueront le combat.

 

 

 

Jean-Marie Quiesse 23 juillet 2020

 



[1] Albert t’Serstevens ; Les corsaires du roi, le grand calme, Libretto 2011 - t'Serstevens appartient à cette génération d'écrivains de l'aventure et du voyage (Édouard Peisson, Luc Durtain, Henry de Monfreid, Blaise Cendrars) qui selon sa propre définition allaient « les mains dans les poches regarder les femmes dans les ports, les navires, les matelots, les marchandises du monde entier et la mer qui les porte, fiers d'être des hommes libres au sein du vaste monde ». Il pratiquait assidument la voile. Son appartement était plein de livres maritimes et de maquettes de voiliers.

[2] Alors que Rome en est encore au bronze.

[3] Guerre des Gaules, III, 8, Jules César

 

Le retour de la Quarantaine

 

Les jours de fête, un navire hisse la guirlande colorée du grand pavois. Ces 40 pavillons représentent chacun une lettre ou un chiffre. En 1738 le capitaine français Mahé de la Bourdonnais a conçu le premier code de pavillons numériques. Complété il sera officiellement adopté en 1870 sous le nom d'International Code of Signals.  

 

Certaines combinaisons   correspondent aussi à des messages. Par exemple, le  jaune (Q) combiné avec le drapeau à damier jaune et noir (L) signifie «Navire en quarantaine». Dans Tintin le Temple du soleil, le cargo Pachacamac où Tournesol est prisonnier arbore ces « flottants » comme on les appelle.

 

1. Pandémie et confinement une vieille histoire

 

En période de  pandémie,  l’évitement des contacts rapprochés n’est pas nouveau. Déjà, en 1439, Henri VI d’Angleterre avait interdit la bise pour combattre la peste.  On confine, on cloisonne et on s’enferme. En effet les virus circulent sur les routes commerciales,  notamment les voies maritimes. En 2020, l’épidémie de Coranavirus voit plusieurs paquebots mis en quarantaine :  « Diamond Princess » au Japon, Westerdam  au Cambdoge, A-Sara sur le Nil, Grand Princess en Californie, Costa Magica en Martinique, Zaandan au Panama, Artania, Magnifica en Australie. Et n'oublions pas les malheureux marins du Charles de Gaulle.  De très nombreux ports ferment également. Disparue dans les années 1970 la quarantaine fait son retour.

 

En 1374, le port de Raguse (Dubrovnik) inaugure l’isolement des navires, marchandises, personnes, pour faire face à la « peste noire » en provenance d’orient. Malgré de telles mesures drastiques, entre 30 et 50% la population européenne disparaîtra. Cette première « pandémie mondiale », fauchant les agriculteurs,  s’accompagnera de famines, mais également de problèmes économiques fournisseurs d’émeutes populaires.

 

2. Venise invente la quarantaine

 

Mais c’est Venise qui instaure la quarantena selon la doctrine hippocratique qui veut qu'une maladie supérieure à quarante jours soit chronique et non pas infectieuse. Cette capitale du monde de l’époque, par l'importance de son commerce avec le Levant, était particulièrement exposée. De 600 à 1500, la Sérénissime République subit en effet soixante-trois périodes de peste. En 1348, elle crée un corps d'épidémiologistes, les " provéditeurs de la santé ". 1403 voit  s'installer du premier " lazaret ". Gênes ne tarde pas à suivre son exemple. Et Marseille fonde son premier lazaret, le troisième du monde civilisé d'alors, le 18 avril 1526. Toutefois les durées de la « quarantaine » ne sont pas partout identiques, de 20 à 100 jours !

 

3. Marseille la grande peste noire

 

Qui dit fermeture dit évasions et contrevenants. Ainsi, en 1720, le navire Grand-Saint-Antoine, revenu d'Orient avec une cargaison d'étoffes précieuses, accoste à Marseille. Le Capitaine signale le décès de personnes. Pourtant les fameuses étoffes - dont une partie appartient au premier échevin de la ville - sont déchargées, et l'équipage ne passe que deux semaines sur l'île de Jarre, destinée à isoler les malades potentiels. Qu'importe, les puces qui infestent les rats ont d'ores et déjà contaminé les tissus, et l'épidémie ne tarde pas à se transmettre à la population. 40 000 personnes, soit près de la moitié des habitants de Marseille à l'époque, périront. Et la peste se propagera partout dans le Sud.

 

Retour de la Quarantaine sur radio uylenspiegel

Jean Marie Quiesse

 

23 mars 2020

 

Anita Conti la Dame de la mer

 

 

Voici Anita Conti et son besoin vital de naviguer.  « Dès que je mets le pied à bord, je voltige. La vie est là » disait cette première Française à partager la vie des Terre-Neuvas à la fin des années 1930. De ses embarquements sur les chalutiers ou sur des bateaux océanographiques, elle rapporte des dizaines de milliers de clichés, des films et des écrits. Elle témoigne du quotidien d’hommes hors du commun dont elle partage la vie. À ceux qui lui demandaient si elle était un garçon manqué, la Dame de la mer répondait « Non, je suis une femme réussie ». Elle plaisantait en disant avoir appris à nager avant même de savoir marcher.

 

 

Cette femme élégante est d'abord reconnue pour son talent en matière de reliure d'art. Ainsi Pierre Mac-Orlan la nomme « celle-qui-écoute-parler-les-livres ». Mais sa passion c’est la mer. De ses premiers embarquements sur des harenguiers et des morutiers est née une série d’articles publiés dans les quotidiens.  À ses retours, elle accueille les auteurs et collectionneurs dans son atelier parisien. Remarquée par un article sur les parcs ostréicoles,  elle intègre en 1934 l'Office scientifique et technique des pêches maritimes (O.S.T.P.M.), ancêtre de l'Ifremer.  En 1939 elle cesse toute activité de relieur d’art pour embarquer sur le chalutier morutier le Vikings en direction du Spitzberg. C’est le début d’une grande aventure maritime

 

 

Anita Conti cartographie les fonds marins et les zones de pêche. Malgré son matériel photographique perpétuellement menacé, elle parvient néanmoins à prendre, sans l'aide d'un pied, des clichés étonnants de la vie maritime. Dès 1940 elle  part pour l’Afrique sur le chalutier Volontaire de Saint-Malo. Durant dix années, missionnée pour étudier la pêche, elle alerte sur les effets de la pêche industrielle sur les ressources halieutiques (ressources vivantes, qu'elles soient animales ou végétales, des milieux marins). Elle sera la pionnière de l'aquaculture.

 

Les marins croient avoir embarqué une scientifique de la mer. Ils ne se doutent pas que c'est un écrivain clandestin qui va partager leur quotidien. Dans ses bagages, Anita Conti emporte le contrat d'édition qu'elle vient de signer pour raconter son aventure au milieu de ces 60 marins.  En 1953, paraît Racleurs d'océans, un coup de tonnerre dans la littérature maritime. En 1952 elle s'embarque pour une campagne à Terre Neuve sur le Bois Rosé. Les marins croient avoir embarqué une scientifique de la mer. Ils ne se doutent pas que c'est un écrivain clandestin qui va partager leur quotidien. Dans ses bagages, Anita Conti emporte le contrat d'édition qu'elle vient de signer pour raconter son aventure au milieu de ces 60 marins.  En 1953, paraît Racleurs d'océans, un coup de tonnerre dans la littérature maritime.

 

 Jean-Marie Quiesse

27 mars 2020

-Mardi 7 avril 2020 : Anita Conti la Dame de la mer - Heure maritime rubrique

Joseph Kabris l'orphelin bordelais devenu roi de Nuka Hiva

Nuku Hiva est l'île où déserta Herman Melville, l’auteur de Moby Dick. C'est également là que vécu Paul Gauguin.  Mais cette grande île est aussi célèbre par une aventure particulièrement romantique, celle de  Joseph Kabris.

 

Cet orphelin né à Bordeaux rêvait d’une vie libre sur les océans. Il s’embarque comme pilotin sur le brick de guerre Dumouriez. En fait de grand large, capturé par les Anglais en 1793,  il est enfermé dans les sinistres pontons londoniens. Deux ans plus tard, enrôlé de force dans l’armée des aristocrates immigrés, il débarque  le 16 juillet 1795 sur la côte vendéenne, se replie avec la troupe vaincue, mais gagne sa liberté. Alors, commence pour ce jeune homme de 17 ans, une véritable aventure au grès des flots et du destin.

 

Embarqué sur le baleinier du capitaine Knight,  il croise dans l’archipel des îles Mendoça aujourd’hui îles Marquises. En plein repas de midi, le navire subit un coup de vent. Poussé à la côte il se brise sur les rochers. Kabris et le cuisinier du bord, un certain Roberts, s’accrochent à un débris. Roberts ne sait pas nager, alors c’est Kabris qui va diriger leur frêle esquif. Vingt-quatre heures plus tard, épuisés et brûlés par le soleil,  ils atterrissent à Nuku Hiva.

 

Ils rencontrent deux pêcheurs nus  « tatoués dans toutes parties » qui les prennent par la main avant de les charger sur leurs épaules pour les mener à la case du roi Quaiténouiy qui parle quelques mots d’anglais. Là une nuée de femmes les examine sous toutes les coutures avec curiosité, les palpe, les pince. Bref ils craignent de faire l’objet d’un prochain repas dont les yeux, la cervelle et les joues seront alors les mets de choix . Il n’en est rien et, après un copieux repas de cochon grillé, une case leur est  attribuée.

 

Plus tard, tatoués de la tête aux pieds, on les marie. Mais Kabris répudie bientôt sa femme parce que, dans une période de disette, elle avait mangé sa propre mère. Il épouse alors la fille du roi avec laquelle il aura deux garçons. En dehors des périodes de famine ou de guerre, il décrit sa communauté comme des insulaires très humains, et surtout aimant une musique rythmée par les tambourins et le battement  des mains, traversée du son des flûtes et du grelot des claquettes de bois.

 

Joseph Kabris, nommé alors Kabrilis a vécu neuf ans comme Grand juge puis roi des îles de Nuku Hiva, « heureux et content, manquant très rarement de choses utiles à son existence ». Brutalement arraché à cette vie insulaire par le capitaine d’un navire russe, il souffrira de l’absence sa famille et passera le reste de sa vie  à tenter de retourner dans son île.

 

Jean-Marie Quiesse février 2020

 

Joseph Kabris sur France Inter

Joseph Kabris, les possibilités d'une vie de Christophe Granger (prix Fémina essai)

Quand les îles jouent à cache cache

Ile de Surstey (Pacifique)
Ile de Surstey (Pacifique)

 

 

1 - Îles flottantes et dérivantes

 

Juillet 1890 le trois mâts nantais Fédération quitte Saïgon et fait route vers les Philippines. La nuit était claire et soudain la vigie signala « une île droit devant ». On est  à 250 miles de toute côte et, dit le commandant Soulas réveillé en plein sommeil, «  cela n’est pas possible ». De plus, cette route est celle de centaine de voiliers et personne n’a jamais signalé d’île.

 

 Il faut pourtant se rendre à l’évidence. Deux énormes coups ébranlent le navire, les membrures craquent et le voilier entre alors dans un univers de branches brisées,  d’odeurs d’écorce et de résine. C’était une sombre forêt où les arbres le disputaient à sa haute mature et s’abattaient sur le pont. Le Fédération s’y échoua et il fallut de nombreuses heures pour le remettre à flot. Il s’agissait d’une très grande  île flottante.

 

Il existe donc des îles dérivantes comme celle-là, morceaux arrachés au continent. D’autres, flottantes,  sont construites de main d’homme comme les radeaux flottants de tortora des Indiens Uros sur le lac Titicaca, vestige d’une mer antédiluvienne.

 

Quand le Shom (service hydrographique français porte une nouvelle île sur ces cartes, c’est généralement parce que celle-ci vient d’émerger et a été signalée par des navires, des locaux ou par la communauté scientifique. Quelque 460 000 îles sont aujourd’hui recensées par la base de données mondiale. Un chiffre relativement approximatif, car il ne concerne que les principales. En fait il doit y avoir environ 2 millions d’îles de plus de 1 000 m² dans le monde. Celles situées en dehors des routes maritimes ou aériennes restent dans l’ombre et souvent ignorées, a fortiori lorsqu’elles sont flottantes ou éphémères.

 

 

2- Îles éphémères

 

Les régions volcaniques sont aussi de grandes pourvoyeuses d’îles éphémères telles celles, paradisiaques du Tonga (Hunga Tonga-Hunga) en 2015. Surstey, Eldey en Islande, Nishinoshima au Japon sont toujours là.

 

L’histoire de Julia près de la Sicile mérite qu’on s’y arrête. Surnommée l’île à éclipses elle émerge très sérieusement en 1831 et devient l’objet d’une lutte entre la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Irlande et l’Espagne pour sa reconnaissance. Chaque nation y plantera son drapeau jusqu’à une nouvelle immersion. En 2002, Le Canard enchaîné osera suggérer d’envoyer là-bas un bâtiment de la Marine nationale, dont les plongeurs pourraient planter sur le point culminant de l’île engloutie « un pavillon tricolore fabriqué dans une matière étanche et ignifugée. À la première éruption, l’île ressortirait indubitablement française, faisant fièrement claquer au vent chaud de la Méditerranée les trois couleurs imputrescibles ».

 

Mayda située au Nord ouest des Açores est un véritable mystère.  Cette vaste terre, découverte en 1447,   peuplée par des naufragés portugais disparut brutalement des cartes, immergée vers 1638, repérée depuis à trente-six mètres sous la surface. Que sont devenus ses habitants ? Idem pour l’île Hunter découverte en 1823 avec sa population de Polynésiens qui disparut corps et biens.

 

En France, en  2009 un banc de sable a surgi des flots à la suite de la tempête Klaus à l’entrée de l’estuaire de la Gironde, près du phare de Cordouan. L’îlot de 40 000 m2 a été reporté sur les cartes marines françaises, mais n’a pas de nom officiel.

 

3 - Îles mirages toujours au rendez-vous

 

Parlons aussi des îles mirages comme Fata Morgana observée depuis le 16èm siècle dans le détroit de Messine « murs blancs, palais étincelants ». Le Fata Morgana s'est produit pour la première fois près du détroit de Messine (entre l'Italie et la Sicile). C'est au Moyen-Age que ce phénomène a été rapporté pour la première fois. Des croisés, qui naviguaient dans la mer Méditerranée, ont affirmé avoir aperçu au milieu de la brume de grands et fantastiques châteaux. Ils ont attribué ce phénomène à la Fée Morgane (Fata Morgana en Italien) qui, d'après la légende Arthurienne, avait le pouvoir d'élever ou de construire des palais au-dessus de l'eau. La Cité fantôme d’Alaska près du glacier Muir : « Des maisons, des rues, des cathédrales, des tours, des arbres… » (photo truquée de LR French)

 

 

4- Îles mystères

 

Côté mystère, on connait l’île la plus célèbre :  l’Atlantide. Mais il y a aussi Avallon où selon la légende fut forgée l’épée magique Excalibur, hyperborée, Tír na nÓg chez les Irlandais, l’île de saint Brendan. Plus près de nous, Dougherty dans l’Antarctique a été découverte en 1841, perdue, retrouvée. Elle a officiellement disparu en 1909. Et pourtant elle figurait encore sur les Atlas en 1935. Les mystères ont la vie dure.

 

5 - Îles imaginaires

 

L’île fascine, symbole de bien des désirs humains, portes ouvertes à l’évasion. Dans son microcosme se nouent les aventures et les destinées. C’est pourquoi elle hante l’imaginaire. Ainsi les auteurs peuplent la mer de multiples terres comme celle de Robinson Crusoé, l’île au trésor de Stevenson, l’île de Prospero de Shakespeare, Lilliput de Swift, Alexandros en mer Égée, les îles d’été de Games of Thrones, Shutter Island, l’île du docteur Moreau, l’île mystérieuse de Hergé et, la plus célèbre, Utopia de Thomas More…

 

Jean-Marie Quiesse - janvier 2020

 

 

 -Mardi 5 mai 2020 : Quand les îles jouent à cache cache - Rubrique Heure maritime

 

 

Venise et ses galères

Bataille de Lépante 1571
Bataille de Lépante 1571

Les centres de gravité économiques se déplacent sur la planète et affectent les routes du commerce maritime, au cœur des tensions géopolitiques [1].

 

Aujourd’hui l’Atlantique, demain l’Asie, hier la Méditerranée. «Tout espace économique cohérent aboutit à une ville centrale, comme une pyramide à sa pointe» nous dit Fernand Braudel.

 

1. Capitale mondiale du commerce

 

Ainsi Venise fut la capitale incontestée du commerce occidental de 1381 à 1498. Lieu de naissance de Marco Polo, de Casanova, de Vivaldi, de Goldoni, berceau des explorateurs, des commerçants et des artistes, Venise est une œuvre d'art vivante, conséquence de son activité maritime.

 

Entre le XIe siècle et le XVIe s’y croisent des marchandises, des hommes et des savoirs venus de toute la Méditerranée et d’au-delà. Sa monnaie d’or, ducat et sequin, est l’étalon monétaire du monde méditerranéen occidental, une sorte de dollar dont la valeur restera constante durant cinq siècles. Ici, nous dit Marino Sanudo, historien du 16me siècle, « on trouve toute chose qui existe et que l’on souhaiterait acheter ». La sérénissime tient tous les fils d’or dans sa main l’or africain, l’argent d’Europe centrale, Venise est aussi la capitale du coton et de la soie, la reine du poivre, des épices et des drogues.

 

2. La cité aux 6000 galères

 

Le cliché habituel de Venise est, aujourd’hui,  la gondole ou le vaporetto. Mais la richesse et l’extension passées de la Sérénissime est entièrement liée à sa flotte de galères (ou galées). L’état dirige les constructions navales et gère le plus grand arsenal de l’époque, spécialisé dans la fabrique des ces navires à rame fabriqués à la chaîne. A l’apogée de Venise on en comptera plus de 6000. Au centre de la Sérénissime sur le Rialto, se tient l’incanto [3] des galées du marché, lieu d’échange des parts de navire. Il s’agit sans doute, nous dit Fernand Braudel [2], de la première bourse des valeurs Sous le pont se trouvent des chaînes que l’on peut ouvrir pour laisser les navires entrer à Venise ou en partir.

 

Les grosses galèes vénitiennes de commerce effectuent des voyages réguliers vers la Romanie et, par la mer Noire, jusqu’au comptoir de Tana. Les lignes maritimes assurent des liaisons avec les comptoirs de la Méditerranée orientale (de Beyrouth à Tyr), d’Egypte ou vers la Méditerranée occidentale par la ligne d’Aigues-Mortes (1402) qui se prolonge vers l’Espagne. Au-delà du détroit de Gibraltar, les convois relient Venise à Londres, Southampton ou Bruges.

 

3. De la galère au galion

 

Les navires sont de plus en plus gros. Ainsi la galeasse transporte 300 tonnes de marchandises, l’équivalent d’un train de 50 wagons. Transformées en navires de guerre puissamment armées sur les flancs (la galère ne disposait que d’un canon de proue), les galeasses vont jouer un rôle essentiel dans la bataille de Lépante et, en occident, la galère va devenir le bateau à la mode pour quelque temps.

 

Lépante, victoire éphémère contre les Ottomans puisqu’elle affaiblira Venise et n’empêchera pas l’invasion progressive de la Méditerranée. Cette nouvelle maîtrise des mers couplée avec le déplacement du trafic maritime vers l’Atlantique accentueront le déclin d’une cité ancrée dans son passé.

 

Lépante en 1571 sonnera aussi la fin des grandes batailles de galères. Elles laisseront définitivement la place aux galions, premiers vaisseaux de ligne sans rameurs mieux adaptés aux flots de l’Atlantique, nouvel eldorado de la mondialisation. Pour être complètement exact, on signale quelques galères suédoises en mer Baltique lors de la bataille de Ratan et Savar qui opposa la Suède à la Russie en 1809.

 

Jean-Marie Quiesse

novembre 2019

 

Mardi 14 janvier 2020 : Venise capitale des galères - Rubrique Heure maritime

 

Ecouter Venise la rouge d'Alfred de Musset (Jacques Willemin)

 

[1] En 2016 90% du transport international s’effectue sur les mers.[2] Fernand Braudel - Venise (1984)

[3] L'Incato (bourse) des galées oblige à plusieurs agrandissements de l'arsenal et la taille des galères triple. Avec 300 tonneaux, leurs cales transportent l'équivalent d'un train de marchandises de 50 wagons.

Liberty Ships : les cargos de la victoire

Illustration Guy Quiesse
Illustration Guy Quiesse

On connaît aujourd’hui le Liberty ship par l’histoire, mais également la littérature du commandant Quiesse, Liberty story notamment et, pour les plus jeunes par célèbre série de bande dessinée de Jean-Charles Kraehn et Patrick Jusseaume « Tramp ». Il s’agit d’un type de cargo à la ligne très facilement reconnaissable et qualifié à l’origine de vilain petit canard.

 

Il possédait pourtant beaucoup d’avantages si l’on en croit le commandant Quiesse : "C’était un navire à vapeur très silencieux. Son hélice tournait à 66 tours par minute. Sa vitesse  dépassait à peine 10 nœuds et il ne vibrait pas. Lorsque les portes des passerelles étaient closes, on ne pouvait jamais dire si le navire était en route ou stoppé … aux étages inférieurs, le bruit de la machine était également insignifiant.». On prétend même que le discret tintement d’un glaçon cognant le bord d’un verre faisait accourir tout l’équipage."

 

 

A l’origine, les Liberty ships,  sont des cargos révolutionnaires tant dans leur mode de fabrication que de construction. 2751 ont été construits en seulement trois ans et demi, aux USA pendant la guerre 1939 – 1945, pour transporter le plus possible de matériel vers le Royaume Unis. Première fabrication en série, coque soudée et non rivetée, faible coût de revient, rapidité d’assemblage : le SS Robert E. Peary, construit à Richmond (Californie) a été lancé le 12 novembre 1942, seulement 4 jours et 15 heures et demie après la pose de sa quille3. Ces vilains petits canards ont été une des pièces maîtresses de la victoire. Construits pour durer une seule traversée, ils occuperont les océans pendant plus de vingt années.  Dès la fin du conflit leur succèderont les Victory Ships, plus solides et mieux motorisés.

 

 

Après la guerre ces cargos ont été revendus à différents pays. La France en a touché 75 qui portaient des noms de villes impliquées dans la victoire contre les forces d’invasion. De ces cargos dont il reste aujourd’hui peu de survivants. Deux sont encore en état de naviguer SS John W. Brown à Baltimore et le SS Jeremiah O'Brien à San Francisco.  D'autres se reposent dans les musées maritimes comme l’ Arthur M. Huddell au Pirée. Le JEREMIAH O'BRIEN fut, avec la JEANNE D'ARC, le navire le plus visité (35 000 personnes) durant la deuxième édition de l'Armada rouennnaise en 1994.

 

 

Un Liberty ship, c'était 3 200 t d'acier, 80 km de soudures, 28 000 rivets, 12 km de tuyauteries, 8 km de fils électriques, 25 t de peinture, etc. Environ 300 000 ouvriers participèrent à leur construction. Le chantier de South Portland employait à lui seul 30 000 ouvriers, dont 3 700 femmes. La moitié de la main-d'oeuvre n'avait jamais travaillé sur un chantier naval auparavant. Ce chantier construisit 30 British Oceans et 236 Liberty Ships (le premier fut construit en 279 j, le dernier en 52 j).

 

Jean-Marie Quiesse

octobre 2019

- Mardi 03 décembre 2019 : Liberty ships les cargos de la victoire - Rubrique Heure maritime

 

Jacques Chirac et l'appel de la mer

Jacques Chirac pilotin 1950 - Photo UIM
Jacques Chirac pilotin 1950 - Photo UIM

 

Le 10 juillet 1950, jacques Chirac est reçu à la seconde partie du baccalauréat. "A ce moment, j'ai eu envie de partir." dit-il. Il embarque comme pilotin-radio sur le navire « Capitaine Saint Martin » pour un voyage Dunkerque-Alger/Mellila-Calais.

 

Il copie beaucoup les marins, les singe un peu : il fume la pipe jusqu'à en être malade. A Alger, il partage leurs virées nocturnes : "C'était pour moi une expérience un peu étonnante mais amusante...On est allé dans les fameux quartiers réservés de la Casbah et on y a passé la nuit entière". Il n'aura pas l'occasion d'en connaître plus. Le jour du retour à Dunkerque, il distingue, de loin, la silhouette de son père venu le chercher. Objectif : Sciences Pô. « Je lui ai proposé de préparer le brevet de lieutenant au long cours pour faire carrière dans la marine marchande. Il l'a fort mal pris. » Une réaction sans surprise.

 

 

L’après guerre 39-45 a connu le développement d’une flotte maritime considérable (les Liberty ships), voguant sur les routes des colonies. La moyenne d’âge des équipages était d’environ 25 ans, pacha compris. Les écoles de navigation ne fournissaient pas assez d’officiers et beaucoup furent alors issus de l’école pratique des « pilotins ». Embarqués tout jeune, les meilleurs devenaient "lieutenant dérogataire" et montaient dans la hiérarchie. Bien plus tôt dans l'histoire, Charles Baudelaire, Edouard Manet , Paul Gauguin , furent également « pilotins » sur les navires.

 

Jean Marie Quiesse septembre 2019

 

 

Références
Un inconnu nommé CHIRAC, Thierry Desjardins, La Table ronde, 1983.
Site Escales maritimes – Claude Briot
Commandant Guy Quiesse - Liberty story

 

Naufrages : des drames, des chansons, des sauveteurs

 

Le vendredi 7 juin 2019, partis secourir un marin pêcheur, Yann Chagnolleau, Alain Guibert et Dimitri Moulic sont décédés dans le naufrage du « Patron Jack Morisseau », leur vedette de sauvetage.

 

 

La SNSM est une association de 8000 bénévoles née de la fusion  des Hospitaliers sauveteurs bretons et de la Société centrale de sauvetage des naufragés en 1967.[1] Elle effectue 20000 sauvetages par an et sauve 9000 personnes.  Premier armateur français avec 450 bateaux, la SNSM doit remplacer en 2019, 37 canots tout temps mis en service entre 1985 et 1996. 77 % des interventions concernent la plaisance[2], 12 % les professionnels de la mer (pêcheurs) et 11 % des loisirs nautiques.

 

 

Puisque nous évoquons les naufrages, je vous conseille la chanson écrite par le gardien de phare, Entre le pilier et Noirmoutier, témoin du naufrage du Tyrus en 1878), le chant traditionnel Le naufrage, le poème Le naufragé de Voltaire, les tragédies du Saint Philibert, du Titanic, du Hilda, du Manureva d'Alain Colas. Sans oublier le Grand Coureur. Le Navire de Bayonne , lui, échappa de justesse au naufrage...Ce ne fut pas le cas en 1794 lorsque le naufrage du Vengeur fit toute une affaire et une chanson[3]Ceux du Pluviose (Th. Botrel), évoque la perte de ce sous-marin en 1910 devant Calais . Le naufrage de l'Amoco Cadiz en mars 1978 a créé la première grande marée noire de l'histoire, sur les côtes bretonnes. Cette catastrophe a inspiré le titre Nos oiseaux de GlenMor. Encore en 1978, cette fois ci le 16 novembre, disparaissait Alain Colas. Alain Chamfort et Serge Gainsbourg ont alors signé la chanson Manureva.

 

 

En France environ 120 marins pêcheurs perdent la vie en mer chaque année.  Ce beau métier est toujours un des plus dangereux. Il faut aussi parler des 16000 à 35000 victimes migrantes  mortes ou disparues en mer, la plupart en Méditerranée, depuis quatre ans et demi. La chanson Mercy leur rend hommage. Mais aussi Gibraltar, Lampedusa et celle du marin pêcheur qui se demande Où aller ?

 

 

Jean-Marie Quiesse – juin 2019

 



[1] Seule exception, Dans la cité phocéenne, la vedette de 1re classe V1 NG La Bonne Mère de Marseille (SNS 152) est armée par des militaires du bataillon de marins-pompiers de Marseille.

[3] Il s'était rendu aux anglais mais le gouvernement de l'époque soutint qu’il avait glorieusement coulé pendant la bataille.  Le retour des rescapés du naufrage jeta le trouble !

 

La sirène de Port Blanc Groagez

 

Cette année là, je chassais le surnaturel breton sur les Côtes du Nord. J’y habitais.  Ce lieu peuplait mon univers et convenait, entre deux grains, à mon ambiance musicale intérieure ponctuée de coups de vent, cocoonée de brouillards, entre marées et pêche.

 

La côte près de Port blanc est un lieu particulièrement inspirant bien que souvent hostile et redouté des marins. Port Blanc est tout prêt du Sillon de Talbert ce « doigt breton dans la mer qui pointe son nez vers l’angleterre » comme chante Michel Tonnerre.

 

Anatole Le Braz, y a vécu.  Spécialiste des légendes bretonnes, il avait sans doute entendu celle-ci On raconte, en effet, qu’au centre de ce dédale de rocs et de courants, sur l'île de Groagez vivait une sirène, sorte de Mary Morgane, une fée d’eau. Légende que tout cela, fruit d’une histoire lointaine où l’imaginaire suppléait aux évidences scientifiques. Et bien un fait étrange allait, pour moi, contrarier cette belle approche rationnelle.

 

C’est en effet là que je ne sais par quel hasard (mais y a t’il un hasard en pays Gallo) que je me retrouvais à boire le café avec un marin du cru par une belle journée d’hiver comme seul sait en fabriquer le climat d’Armor. De fil en aiguille, de trinquages en silences, poussé par sa femme, Le Bihan me raconta cette histoire étrange qui le hantait depuis quelques années.

 

Ce jour de décembre, la marée était bonne, la mer étale et le soleil radieux. Avec sa chienne il partit comme à son habitude pour relever ses lignes, cueillir quelques rares ormeaux, des rigadeaux, des crabes et, pourquoi pas, si la chance était avec lui, ramener un bel homard car, à cette époque, on en trouvait encore sous les roches. Tout à coup c’est le coton. Un épais brouillard l’enveloppe, il perd son chien de vue. Le voici dans un curieux silence hors de l’espace et des bruits de la vie.  Pas d’inquiétude, il connait le coin comme sa poche.

 

Il prend donc le chemin du retour mais, stupeur, il se retrouve les pieds dans l’eau. Il fait volte face. Le flot non seulement semble le suivre, mais il court plus vite que lui. Et tout à coup, au cœur de son angoisse, il entend un chant qui l’appelle. Il va dans sa direction. Quand l’eau atteint les genoux. Il quitte ses bottes. De nouveau se fait entendre le chant qui va le sauver ! Mais plus il se dirige vers cette voix, plus le niveau monte. Voici maintenant l’océan à sa taille. Il quitte son pantalon. La mer lui parait chaude, douce et caressante.  Mais le chant est son étoile et il continue.

 

C’est, dit-il, au moment où la marée atteignait ses épaules qu’une forme noire et haletante l’attrape par sa vareuse pour le tirer vers la rive. C’était son chien. Devant son pousse café, il en frissonne encore, Le Bihan. Il sait maintenant que la Sirène l’a, comme il dit  « choisi ».

 

Jean-Marie Quiesse - Avril 2019

 

Rose Héré l’héroïne d’Ouessant

 

 « La mer, c’est le domaine des hommes. Celui des femmes, c’est l’île » disait îles Odette de Puigaudeau, l’ethnologue qui fut un temps marin-pêcheur. Elle nous parle avec chaleur des femmes d’Ouessant, celles qui découpent les gleds, récoltent le goémon, labourent, sèment et récoltent pendant que leurs compagnons naviguent. Je les voyais jeunes et vieilles, se pencher vers les blés et les couper à ras de terre avec une faucille antique racontait déjà le journaliste Claude Anet en 1907.  

 

 

 

Si le monde maritime est empli de figures masculines, les femmes y sont pourtant omniprésentes. Car, comme dit Mac Orlan, « la chanson des femmes conduit la chance des autres comme le fil de laiton conduit la lumière. » Et parmi celles-ci  se détache la figure de Rose Héré ouessantine aux yeux à la surprenante clarté bleue, dans un « visage bruni par le hâle ». De Puigaudeau l’a personnellement rencontrée tout comme Savignon l’auteur des « Filles de la pluie ». Voici son donc histoire.

 

 

 

Dans la nuit du 2 novembre 1903, le Vesper un cargo de 100 mètres de long, remontait d'Oran avec sa cargaison de vin, 3500 tonnes en barriques bien arrimées. Son équipage est de 34 hommes, des Anglais. Dans les parages d’Ouessant, le commandant Viel, un Breton,  scrute le brouillard épais qui cache une mer emplie d’écueils. Hélas, à 3 heures et demie, le navire vient se briser sur les rochers de la pointe du Pern.

 

 

 

Voici le récit de l’exploit de Rose rapporté par Savignon :

 

 

 

« La situation du bateau était désespérée. L’équipage mit les deux chaloupes à la mer. Une de ces embarcations, drossée par le courant, allait infailliblement se perdre sur les récifs. Rose était sur la grève.  On lui lança un bout qu’elle s’efforça d’attraper… Rose amarra la corde à une roche aiguë et se (re)mit à l’eau. C’était un peu au-dessous de la pyramide du Runiou. Elle avança, se soutenant des mains, insensible au froid ; ses jupes flottèrent un instant, comme une cloche, s’enfoncèrent, et, soudain, perdant pied dans un trou, elle disparut. Pourtant, elle ne lâcha pas prise ; à la force des poignets, elle remonta à la surface, progressant de quelques mètres vers la barque, disparut, avança encore. La chaloupe était à une soixantaine de brasses. Ce trajet fut long et infiniment pénible. — Enfin, dit-elle, ils m’ont crochée avec la gaffe et amenée avec eux.

 

Quand Rose eut amené son monde à Pen Ar Roc’h, elle rentra chez elle. L’île fut la cible des médias de l’époque. Rose Héré fut reçue et décorée à Paris, honorée à Londres et à Marseille. Elle retourna vivre dans la nouvelle maison qu’on lui avait offerte. Son nom est aujourd’hui porté par une vedette de transport de passagers. Un navire féminin, donc, et une vedette de surcroît !

 

 

 

Et après le sauvetage, l’énorme cargaison de vin du Vesper échoue sur l’île : « Après tout, c’est vrai dit un habitant de l’île…On pouvait courir d’un bout à l’autre des grèves en marchant sur les fûts, tant ils étaient nombreux…Oui, on a pillé, on s’est saoulé, on a jeté des gendarmes à l’eau, on s’est battu contre la troupe. Que voulez-vous ? Le vin était tiré, on l’a bu. »

 

 

 

Le naufragé du Pacifique : c'est arrivé un 7 mai

Vous êtes vous jamais imaginé, en plein Pacifique, seul, sans mât, sans radio, sans balise de détresse ?

 

Ulysse, notre jeune marin ne voulait pas y croire « C’est pas possible, on va revenir cinq minutes en arrière et tout sera comme avant… ».  Mais voilà : le mât est bien brisé net, les gréements sont emmêlés sur le pont, le génois traine dans la mer. Bientôt l’éolienne ne sera plus qu’un souvenir : un cauchemar !

 

 Ulysse convoie l’Argo, un Ovni  31, un quillard de 9,50 mètres. Les Marquises sont au nord-est de Tahiti.  On compte 850 miles nautiques soient 1400 kilomètres, entre sept et huit jours de navigation.  Il fait escale à Rangiroâ dans les Tuamotu qu’il laisse le mardi 25 avril 2017  En franchissant la passe, il ressent un « immense sentiment de liberté ». Face à lui, c’est un véritable désert maritime, loin de tout, au cœur d’un océan Pacifique qui ne l’est pas toujours.

 

L’Argo navigue avec grand-voile et  génois Ulysse est empli d’un « sentiment de plénitude ». Voilà maintenant 5 jours qu’il navigue. Ce dimanche 7 mai il est 9 heures du matin. Ulysse sommeille dans le cockpit.  Et soudain, il entend dans son sommeil « un gros craquement et un grand « blam ». Il s’aperçoit avec stupeur qu’un tronçon du mât Selden, brisé, surnage à côté de lui. Sur le pont c’est un véritable chaos. Il va falloir sortir de là. Alors, attaché par une ligne de vie,  commence la plongée pour dégager ce qui peut l’être, notamment le génois, puis libérer le pont. Heureusement, à part la très forte houle dans laquelle le voilier joue les ascenseurs,  il fait beau. Retour à bord : impossible de faire fonctionner la radio, mais, surprise,  la position de l’Argo s’affiche sur le GPS qui fonctionne toujours : 300 kilomètres des Marquises ! Pas question d’y parvenir avec seulement 20 heures de fuel.

 

Alors s’amorce un lent retour vers les Tuamotu, avec une voile de fortune et l’utilisation très parcimonieuse du moteur. Le bateau roule beaucoup.  La dérive sud-ouest se trouve également contrariée par de nombreux grains. Une fuite de fuel dans les fonds empoisonne l’air. Surpris par le son de sa propre voix lorsqu’il se parle, Ulysse craint de sombrer dans la folie. Mais les mauvaises pensées s’effacent devant la nécessité de tenir et garder espoir.

 

Après six jours de dérive, sans croiser aucun navire,  apparaît enfin une terre. C’est l’île de Takaroa, un petit paradis de 400 habitants où il reçoit un très bon accueil. Après s’être longtemps rationné, il dévore enfin un grand plat de pâtes, puis appelle sa famille et ses amis. « Lorsque j’ai mis le pied sur l’île, dit-il un chien s’est mis à aboyer. Je pense que j’avais une espèce d’aura extraordinaire. J’ai regardé ce chien, il a arrêté direct de m’aboyer.  Avec un don de 200 litres de gas-oil, Ulysse est rentré à Tahiti.

 

Jean-Marie Quiesse - janvier 2019

 

Ecouter et voir en video : Le naufragé du Pacifique

L'aigle du mont Ida - Une histoire vraie de rencontre divine

Un récit véridique du Commandant Quiesse

 

Ce matin là, le cargo longeait la côte Sud de la Crète et le soleil hivernal brillait de tous ses feux, éclairant de rouge à son lever, les sommets de la Crète couverts de neige jusqu'à mi-pente.

 

 Du Cap krio à l’Ouest, jusqu’au Cap Goudoura, ils longea les falaises à quelques centaines de mètres de distance, la côte étant acore, juste sous le mont Ida où naquit Zeus. Le commandant sur l’aileron de passerelle achevait son quart.

 

Il vit alors un immense oiseau descendre de très haut. Les rémiges de l’extrémité de ses ailes se redressèrent en s’écartant. C’était un aigle immense qui se posta dans le vent, tout près. La bête de deux mètres d’envergure était maintenant immobile, et fixait un commandant fasciné.

 

 Ils restèrent ainsi cinq bonnes minutes immobiles, l’un observant l’autre. Le vent siffla contre le plumage de l’oiseau divin. Il ouvrit le bec, émit un petit cri, pencha à droite et à gauche comme un avion qui salue et repartit vers le sommet de la montagne. Le commandant saisit les jumelles pour le voir diminuer jusqu'à devenir un point dans l’azur,  disparaissant vers le sommet du Mont Ida, là où, dit-on est né Zeus, le dieu des dieux qui venait de se manifester.

 

Jean-Marie Quiesse - Janvier 2019 - D'après un récit du Commandant Guy Quiesse
 

Voir L'aigle du mont Ida mis en images par JM Quiesse